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ROSALINDE.

ancienne faveur, car si vous la bannissez, moi-même, sa compagne d’adversité, j’irai chercher dans l’exil ma part de ses malheurs !

— Fille arrogante, répondit Thorismond en fronçant le sourcil comme si la tyrannie eût siégé triomphante sur son front, est-ce mon indulgence qui te rend assez téméraire pour oser en remontrer à ton père ? Mes années n’ont-elles pas plus d’expérience que ta jeunesse ? Folle fille, tu mesures tout à ton affection présente ; ta raison juge comme ton cœur aime ; mais si tu savais qu’en aimant Rosalinde, tu couves l’oiseau qui doit t’arracher les yeux, tu implorerais son éloignement aussi ardemment que tu recherches maintenant sa présence. Mais pourquoi te donner des raisons ? Va t’asseoir, petite ménagère, et retourne à ton aiguille. Si le loisir vous rend si étourdie, ou la liberté si impertinente, je vous attellerai vite à une rude tâche… Et vous, donzelle, ayez fait vos paquets ce soir ; allez dans les Ardennes près de votre père, allez où votre fantaisie vous conduira, mais vous ne résiderez plus à la cour.

Cette rigoureuse réplique ne déconcerta pas Alinda : elle poursuivit son plaidoyer en faveur de Rosalinde, priant son père, si l’arrêt ne pouvait pas être révoqué, de la désigner pour la compagne de son exil ; s’il s’y refusait, ou elle s’évaderait secrètement pour rejoindre Rosalinde, ou elle finirait ses jours par quelque genre de mort désespéré ! Quand Thorismond vit sa fille si résolue, son cœur fut tellement endurci à son égard qu’il prononça une sentence définitive et péremptoire qui les bannissait toutes deux. Ses barons eurent beau le supplier de garder sa propre fille, ils ne purent le faire revenir sur sa résolution ; toutes deux devaient quitter la cour sans délai ni compagnie. Et Thorismond se retira en grande mélancolie, laissait seules ces deux dames. Rosalinde dé-