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ROSALINDE.

se montrant aussi jovial que Pâris quand il obtint l’amour d’Hélène. Sur ce, Gérismond et les autres se prirent à rire et décidèrent que Montanus et Phébé célèbreraient leurs noces en même temps que les deux frères. Aliéna, voyant que Saladin restait absorbé, le réveilla de sa réserve en lui disant :

— Qu’as-tu donc, mon Saladin ? Tu es tout morne ! Quoi ! Mon cher, de la mélancolie un jour de noces ! Peut-être ce qui t’afflige, c’est de songer à la haute fortune de ton frère et à la bassesse d’une affection qui t’a fait choisir une si humble bergère. Console-toi, l’ami ! Car, en ce jour, tu seras marié à la fille d’un roi. Sache, en effet, Saladin, que je ne suis pas Aliéna, mais Alinda, la fille de ton mortel ennemi Thorismond.

À ces mots toute la compagnie fut stupéfaite, surtout Gérismond qui s’étant levé, prit Aliéna dans ses bras et dit à Rosalinde : — Est-ce là cette belle Alinda, fameuse par tant de vertus, qui a quitté la cour de son père pour vivre avec toi dans l’exil ?

— Elle-même, dit Rosalinde.

— Eh bien, dit Gérismond en se tournant vers Saladin, sois gai, beau veneur, car ta fortune est grande et tes désirs sont augustes : tu possèdes une princesse aussi fameuse qu’incomparable par ses perfections.

— Elle a conquis par sa beauté, répondit Saladin, un humble serviteur, aussi plein de dévouement qu’elle est pleine de grâce.

Tandis que chacun restait ébahi de ces joyeux événements, Coridon arriva en gambadant annoncer que le prêtre était à l’église et attendait la compagnie. Sur ce, Gérismond ouvrit la marche, les autres suivirent, et les mariages furent célébrés solennellement, à la grande admiration des pâtres de l’Ardenne. Aussitôt que le prêtre eut fini, tous s’en retournèrent à la demeure d’Aliéna, où