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HENRY VI.

à ce moment que le berger, soufflant dans ses ongles, — ne peut appeler ni le jour ni la nuit. — Tantôt elle ondule d’un côté comme une énorme mer — poussée par la marée contre le vent ; — tantôt elle ondule d’un autre côté, comme la même mer — forcée de se retirer devant la furie du vent. — Parfois, le flot l’emporte ; et parfois, le vent. — Maintenant l’avantage est à l’un ; tout à l’heure, à l’autre. — Tous deux se disputent la victoire en s’étreignant, — et il n’y a ni vainqueur ni vaincu, — si parfait est l’équilibre de cette formidable mêlée. — Je vais m’asseoir ici sur ce tertre. — Que la victoire se décide à la volonté de Dieu ! — Car Marguerite, ma reine, et Clifford — m’ont renvoyé du champ de bataille, jurant l’un et l’autre — qu’ils sont plus sûrs de réussir quand je n’y suis pas. — Je voudrais être mort, si telle était la volonté de Dieu. — Car qu’y a-t-il dans ce monde, sinon des chagrins et des malheurs ? — Ô Dieu ! je m’estimerais bien heureux de n’être qu’un simple berger ! — Assis sur une colline, comme je le suis maintenant, — je tracerais minutieusement un cadran, — j’y mesurerais la marche des minutes, — je compterais combien de minutes complètent l’heure, — combien d’heures font un jour, — combien de jours composent une année, — et combien d’années peut vivre un homme mortel ; — ce calcul achevé, je ferais la distribution de mon temps : — tant d’heures pour veiller à mon troupeau ; — tant d’heures pour prendre mon repos ; — tant d’heures pour méditer ; — tant d’heures pour me divertir ; — tant de jours que mes brebis sont pleines ; — tant de semaines avant que les pauvres bêtes mettent bas ; — tant d’années avant que je tonde leurs toisons. — C’est ainsi que les minutes, les heures, les jours, les mois et les ans, — employés dans un but prédestiné, — conduiraient mes cheveux blancs à un paisible tombeau. — Ah ! quelle vie ce serait ! qu’elle serait douce ! qu’elle serait aimable ! — Le buisson d’aubé-