Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 1.djvu/150

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sans la connaître j'ai pu commencer à l'aimer ! Ce n'est pourtant encore que le portrait d'elle-même que j'ai contemplé, et il a suffi pour éblouir l'œil de ma raison ; mais lorsque je contemplerai la réalité de ses perfections, il n'y a pas de raison pour que je ne devienne pas aveugle. Je vais tenir en bride, si je le puis, mon amour qui s'égare; sinon, j'userai de mon adresse pour la conquérir. (Il sort.)

SCENE V
Milan. — Une rue.
Entrent SPEED et LANCE.

SPEED. — Lance, parole d'honneur, tu es le bienvenu à Milan.

LANCE. — Ne te parjure pas ainsi, mon tourtereau, car je ne suis pas le bienvenu. Je suis toujours d'avis qu'un homme n'est jamais perdu avant d'être pendu, et qu'il n'est jamais le bienvenu quelque part avant qu'on ait tiré certains canons et que l'hôtesse ait dit : « Soyez le bienvenu. »

SPEED. — Viens cà, tête de fou ; je vais te mener tout droit au cabaret, où, pour un canon de dix sous, tu auras dix mille souhaits de bienvenue. Mais, dis-moi, flandrin, comment ton maître s'est-il séparé de Madame Julia ?

LANCE. — Parbleu, après s'être pris à bras-le corps pour tout de bon, ils se sont séparés en bonne humeur, satisfaits l'un de l'autre.

SPEED. — Mais l'épousera-t-elle?

LANCE. — Non.

SPEED. — Comment, non ? Et lui, l'épouserat-il ?

LANCE. — Pas davantage.

SPEED. — Comment donc ? Est-ce qu'ils ont rompu ?

LANCE. — Rompu, non; à eux deux ils sont unis comme un seul poisson.