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ACTE V, SCÈNE III.

ployant n’a fait que ce qu’aurait fait un Français qui traduirait Madonna on Signora par Madame.

3. L’histoire légendaire de Roméo et de Juliette a été sérieusement mise en doute par le professeur Todeschini dans deux petites dissertations fort bien faites, l’une adressée à Jacopo Milan, l’autre à Bartolommeo Bressan, éditeur de la petite nouvelle de Luigi da Porto, le premier en date des récits qui nous ont valu le chef-d’oeuvre de Shakespeare. Il y prouve fort bien qu’on n’a jamais parlé de cette histoire avant l’historien de Vérone, Girolamo della Corte, lequel écrivait vers le milieu du seizième siècle, c’est-à-dire deux siècles et demi après l’époque où se serait passée cette aventure. Il établit que Girolamo della Corte n’a pu s’appuyer que sur trois sortes de documents, les chroniques nationales, la tradition populaire, et enfin le fameux tombeau de Juliette à Vérone. Or tous les chroniqueurs véronais gardent le silence sur cette histoire. Quant à la tradition populaire, il y a tout lieu de croire qu’il n’en existait d’aucun genre. Luigi da Porto, au commencement de son récit, prétend tenir cette histoire d’un archer véronais, beau conteur et vert galant, qui lui aurait assuré que cette histoire était très-célèbre à Vérone. Mais ce personnage a-t-il réellement existé, ou n’est-il pas plutôt ce personnage du narrateur qui a pris tant de noms en littérature et que les romanciers emploient pour donner un air de vérité à leurs fictions ? Cet archer s’appelait Pellegrino, dit Luigi da Porto ; l’évêque Bandello, qui après lui a raconté la même histoire, déclare la tenir d’un officier nommé Pèregrino. Ce nom seul (le pelerin, le voyageur) indique que nous avons affaire à un être de raison, et non à un témoin qui a vécu. Enfin le prétendu tombeau de Juliette à Vérone se compose d’une simple pièce de marbre, sans inscription, sans date, ornements ni emblèmes. L’histoire de Roméo et Juliette peut donc être tenue en toute assurance pour apocryphe.

Le doute du professeur Todeschini va beaucoup plus loin, il s’étend à la rivalité des deux familles et a leur existence même. Ces familles des Montaigu et des Capulet que l’on nous présente comme ennemies, sembleraient au contraire avoir été unies et avoir appartenu au même parti politique. Sur quoi s’appuie-t-on pour les représenter comme rivales ; tout simplement sur ces quelques vers de Dante dans son apostrophe à Albert d’Allemagne ;

          Vieni veder Montecchi e Cappelletti,
          Monaldi et Fillipeschi, nom senza cura,
          Color già tristi, et costor con sospetto.

Comme le poëte vient de décrire l’état d’anarchie dans lequel l’abandon de l’empereur laisse l’Italie, on en a conclu qu’il opposait ici les partis aux prises ; par exemple que les Montecchi étaient gibelins, et les Cappelletti guelfes. Mais des recherches minutieuses montrent que ce n’est pas ainsi que ces vers doivent être interprétés, et que cette énumération ne comprend que des noms d’un seul parti, celui du parti gibelin auquel Dante appartenait. C’est donc comme si Dante disait à l’empereur Albert :