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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/174

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ble) ; puis une fois qu’il a eu pénétré dans son esprit, il s’y est blotti, y a poussé ses racines, y a germé, et par le fait de cette gestation insensible et lente qui transforme en nous une semence d’idée en une conception parfaite, ce grain de sénevé aura produit l’œuvre magnifique qui nous étonne et qui étonnera toutes les générations de lecteurs jusqu’à ce que le monde périsse.

L’origine de l’histoire d’Hamlet doit être cherchée dans l’histoire des Danois de Saxo Grammaticus, érudit danois, mort en 1203, à qui nous sommes redevables de la conservation d’une foule de traditions du Nord, car adoptant naïvement le rôle que Niebuhr prête à Tite Live, il a composé les premières parties de ses annales patriotiques avec les anciennes sagas Scandinaves et les vieux chants des scaldes qu’il a fait passer de la poésie à la prose. Le récit de Saxo Grammaticus nous reporte à une époque antérieure à l’introduction du christianisme dans la Scandinavie ; c’est dire que nous sommes en pleine barbarie, et nous allons nous convaincre, en effet, que les mœurs qui nous y sont décrites ne sont point sensiblement différentes des mœurs des loups et des chacals, c’est-à-dire de ce que sont les mœurs de tout homme en dehors de la religion et de la civilisation, On voit déjà combien.le milieu de la vieille légende est différent de celui où Shakespeare a placé son drame : ce milieu est le paganisme le plus farouche, et dès lors plus de spectre paternel sortant des flammes du purgatoire, plus de visites du monde surnaturel au monde des vivants, et par suite, plus de ces scrupules de la conscience chrétienne qui émoussent la vengeance aux mains d’Hamlet.

Dans cet ancien Danemark païen régnait donc autrefois un certain roi nommé Rurik, tout comme l’aventurier Scandinave à qui l’on doit la première assise de l’empire de Russie. Ce roi débarrassa son royaume des Suèves et des Slaves, puis distribuant les gouvernements de ses provinces entre ses guerriers, il donna celui du Jutland à deux frères,