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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/177

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jeune fille ; s’il ne l’est pas, le désir d’amour lui fera sans doute oublier son rôle, et alors on saura à quoi s’en tenir. On partit pour la chasse projetée, et dans ce voyage Hamlet se livra avec plus de verve baroque que jamais à ses folies habituelles. Ainsi, quand il fallut partir, il sauta sur son cheval en tournant la tête du côté du dos, saisit sa queue en guise de bride et le lança au galop. En route, on rencontra un loup, et on lui dit que c’était un beau cheval ; oui, répondit Hamlet, il en faudrait mettre quelques-uns de cette espèce dans les troupeaux de Feggon. Sur le bord de la mer on trouva un gouvernail de vaisseau ; c’est un grand couteau, dit-on à Hamlet ; oui, répondit-il, il faut un grand couteau pour couper un gran jambon. On voit que ces plaisanteries sont fort barbares, et ne dépassent pas de beaucoup la moyenne de ces plaisanteries si compliquées dans leur vulgarité, si entortillées dans leur simplicité grossière qui ont le privilége de réjouir nos paysans et nos manouvriers. Toutefois il faut reconnaître qu’avec une analyse un peu fine, on découvre dans leur composition un certain élément sauvage qui, la culture aidant, pourrait devenir grandiose. Ainsi on essaye de lui faire croire que le sable blanc des dunes est de la farine : «Oui, répond-il, et ce sont les tempêtes qui la mouillent et la pétrissent. » Cela certes est fort ordinaire, et pourtant il y a là je ne sais quel tout petit atome rudimentaire qui en s’épanouissant peut arriver à une mélancolie pleine de grandeur.

On fait donc l’épreuve amoureuse. Hamlet se rencontre avec la jeune fille, et il est sur le point de céder à la tentation, lorsqu’il voit venir à lui une grosse mouche ayant une paille attachée aux pattes. Hamlet le subtil comprit que c’était un avertissement que lui envoyait un de ses amis, et que cette mouche avec la paille aux pattes signifiait obstacle attaché à son désir, traquenard, espionnage. On voit par parenthèse que ce n’est pas d’aujourd’hui que la mouche est le symbole de l’es-