Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

morceaux et le donna à manger aux cochons. Sa mère voyant ce spectacle poussa les hauts cris ; mais Hamlet lui répondit brutalement : « Femme, taisez-vous, et pleurez plutôt sur votre crime, vous qui avez passé dans le lit de l’assassin de votre époux. Vous avez fait connue les génisses qui se donnent au vainqueur du troupeau. Eh bien, me croyez-vous encore fou et insensible ? Pleurez sur vous, et avant tout songez à taire ce que vous avez vu et entendu de moi. » Voilà l’origine de la scène entre Hamlet et sa mère au deuxième acte du drame ; mais c’est mieux cette fois que l’origine et le rudiment premier, c’est l’esprit, l’âme même de cette belle scène où Hamlet fait passer sous les yeux de sa mère le crime qu’elle a commis avec une si impitoyable dureté. Cette seconde épreuve n’ayant pas mieux réussi que la première, Feggon se décida à perdre Hamlet. Pour ce faire, il résolut de l’envoyer en Angleterre. Avant de partir, Hamlet fit à sa mère deux recommandations singulières : la première, de tisser une vaste tapisserie pour la salle des festins royaux ; la seconde, de prendre son deuil au bout d’un an. En route il s’avisa du stratagème que nous lui voyons employer dans Shakespeare : il ouvrit les lettres du roi pendant le sommeil des courtisans chargés des messages au roi d’Angleterre, et y vit que Feggon recommandait à son bon frère d’Albion d’expédier son beau-fils pour un voyage qui le dispensât de revenir en Danemark : alors supprimant ces lettres, il leur en substitua d’autres de sa façon par lesquelles il recommandait au roi d’Angleterre de faire mettre à mort ceux qui les lui remettraient, et de donner sa fille en mariage à son bien-aimé fils Hamlet.

Jusqu’ici la légende de Saxo Grammaticus marche à peu près d’accord avec l’histoire de l’Hamlet de Shakespeare, sauf sur un seul point qui, à la vérité, est d’une telle importance qu’on peut dire qu’il est le pivot du drame, l’intervention du fantôme : mais à partir de ce moment,