Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les deux récits divergent entièrement et n’ont plus aucun rapport commun. Jugez-en plutôt. Arrivé en Angleterre, il reçoit du roi le meilleur accueil, et est invité à un grand festin. La chère est succulente, et cependant Hamlet s’abstient de boire et de manger. On s’en étonne et on lui demande la raison de cette abstention. « C’est, répond Hamlet, parce que le pain du roi sent le sang, parce que ses boissons sentent le fer, parce que ses viandes sentent le cadavre. Le roi a des yeux d’esclave, la reine a fait trois gestes de servante. » On rapporte ces paroles au roi, véritable roi de fécrie s’il en fut, et il se dit que celui qui les a prononcées ne peut être qu’un homme fort extraordinaire. Aussi étonné et intrigué que Pharaon, lorsqu’il eut découvert en Joseph le don d’expliquer les songes, il fait prendre des informations, et il découvre à sa grande surprise que le blé d’où provenait le pain servi’ à sa table avait germé dans un champ où s’était livrée une grande bataille, et qui avait été ainsi arrosé de sang ; que l’eau qui avait servi à la fabrication de sa bière avait été prise dans un puits qui fouillé par ses ordres, se trouva contenir deux épées rouillées, et enfin que ses viandes provenaient d’un troupeau de porcs qui avaient mangé le cadavre d’un pendu tombé du gibet. Cette singulière sagacité rappelle comme on voit celle de Zadig, mais encore davantage celle de ces deux buveurs illustres dont Sancho vante dans Don Quichotte la merveilleuse finesse de goût : « Ce vin est bon, dit l’un des buveurs, mais je lui trouve un tout petit goût de fer. — Moi, dît l’autre, je. lui trouve au contraire un tout petit goût de cuir. » On vida le tonneau pour constater lequel avait raison, et on trouva au fond une toute petite clef en fer, avec un tout petit cordon en cuir noué à son anneau.

Voici qui a plus de portée. Le roi étonné de ces découvertes voulut savoir de qui il était né, et après interrogations mêlées de menaces, il fit avouer à sa mère qu’il était né d’un esclave et qu’ elle avait trompé le roi son marif