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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/185

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de nous conserver tant d’anecdotes curieuses ramassées dans tous les pays, fit de cette histoire, qu’il traduisit du latin de Saxo Grammaticus, une des nouvelles de son recueil qui parut en 1564. Une traduction anglaise de ce recueil suivit de près, et c’est à cette source que Shakespeare a puisé. La nouvelle de Belleforest reproduit fidèlement la légende scandinave, en la modernisant toutefois et en affaiblissant sa saveur barbare ; mais pas plus que dans le récit de Saxo Grammaticus, il n’y a germe dès merveilleuses inventions de Shakespeare et du caractère extraordinaire qui est sorti des méditations du poète. Pas de fantôme révélateur, puisque le meurtre s’est passé au grand jour, et par conséquent rien de l’Hamlet irrésolu par scrupule de conscience, du sceptique mélancolique que ses doutes rejettent toujours loin de l’action, rien des moyens d’action si ingénieux que le prince emploie pour arriver à la connaissance de la vérité et contrôler les assertions du fantôme, la scène des comédiens entre autres. L’histoire d’Ophélia, sa folie si touchante, le personnage de Polonius, celui de Laertes, celui d’Horatio, ce Pylade d’un nouvel Oreste, ce véritable compagnon de prince, sont sortis du cerveau de Shakespeare comme le monde est sorti des mains de Dieu selon la théorie de la création à nihilo. Le dénoûment est également tout entier de l’invention de Shakespeare. Une seule scène existe en substance dans Belleforest, la scène avec la reine au troisième acte, encore y manque-t-il cette intervention du fantôme qui la rend si touchante, si grande, si vraiment humaine. Nous avions donc bien raison de dire qu’Hamlet était l’œuvre la plus personnelle de Shakespeare ; dans ses autres grandes pièces, Roméo et Juliette, Othello, Macbeth, il s’est borné à développer, à ordonner et à mettre en scène les matériaux que lui offraient les chroniqueurs et les romanciers ; ici il a tout inventé, personnages, incidents, caractères. Le fond même de l’histoire lui appartient, car qu’est-ce que l’histoire