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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/194

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disposition d’âme d’Hamlet fut à un certain moment celle de tous.les membres les plus nobles des sociétés européennes. Shakespeare n’a pas eu besoin d’inventer Hamlet, il existait de son temps, et il est facile de retrouver en sa personne bien des traits des gentilshommes anglais de cette époque. Ne les reconnaissez-vous pas ? Ils sont soucieux, inquiets, sollicités par un esprit nouveau qu’ils adoptent avec une ardeur grave et une certaine tristesse noble, qu’ils servent avec un dévouement irrésolu et une conviction incertaine. Autour d’eux brillent encore les formes du moyen âge entamées déjà par la mort ; les fantômes hantent leurs imaginations, leur donnent de funèbres messages et arment leurs mains par la vengeance personnelle, pour la politique ou la religion. L’esprit est converti, mais la chair s’obstine ; les vieilles habitudes résistent et le sang bouillonne avec sa vieille vivacité : cependant un scrupule retient souvent leur bras prêt à frapper ; ils ont sucé le lait de la tendre humanité, comme dit Lady Macbeth J’imagine que Shakespeare n’a eu qu’à réunir les traits épars que lui fournissaient ses contemporains pour en former ce personnage d’Hamlet. Essex et Leicester, Sir Walter Raleigh et Sir Philippe Sidney ont pu chacun lui fournir tel détail ou tel autre, car bien qu’ils n’aient aucune ressemblance avec Hamlet, il est cependant reconnaissable en eux. Ils ont, les uns sa tournure d’âme, son inquiétude secrète et sa tristesse grave ; les autres, sa subtilité métaphysique aisément chimérique, et son élévation de pensée mêlée de superstition ; ceux-ci, sa fière allure, unie à ses boutades de dureté et à cette rudesse de ton qui lui sont habituelles ; ceux-là enfin, son esprit mâle et son irrésolution. Ce ne sont là toutefois que des traits isolés ; le trait essentiel est le trait historique que nous avons indiqué. La situation dans laquelle se trouvèrent les héritiers du moyen âge lorsque sonna le seizième siècle est exprimée par Hamlet avec une étonnante fidélité : il réunit deux natures d’hommes