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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/213

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douleur : mais, vous le savez bien, votre père avait perdu un père ; ce père qu’il perdit, avait perdu le sien ; et le survivant est tenu par piété filiale de montrer pendant un temps la douleur qui convient au deuil : mais persévérer dans une affliction obstinée est la conduite d’une opiniâtreté impie ; c’est un chagrin sans virilité : cela montre une volonté très-indocile envers le ciel, un cœur sans force sur lui-même, une âme impatiente, une intelligence simple et sans lumières : car, pourquoi prendrions-nous à cœur avec une opposition chagrine ce que nous savons devoir être nécessairement, et qui est chose ordinaire s’il en est au monde ? Fi ! c’est une offense envers le ciel, une offense envers le mort, une offense envers la nature, une offense de la plus grande absurdité envers la raison dont le thème ordinaire est la mort des pères, et qui, depuis le premier cadavre, jusqu’à celui qui mourut hier, n’a cessé de crier : « Il en doit être ainsi. » Nous vous en prions, donnez congé à cette douleur impuissante, et regardez-nous comme un père ; car nous voulons que le monde en prenne note, vous êtes le plus rapproché de notre trône, et la tendresse là plus exaltée qu’un père puisse porter à son fils, je la ressens pour vous. Quant à votre intention de retourner à l’université de Wittenberg, elle est très-opposée à nos désirs : nous vous en conjurons, consentez à rester ici pour la joie et la fête de nos yeux, comme le premier de notre cour, notre neveu, et notre fils.

LA REINE. — Que ta mère ne perde pas ses prières, Hamlet ; je t’en prie, reste avec nous, ne vas pas à Wittenberg [6].

HAMLET. — Je ferai de mon mieux pour vous obéir en toutes choses, Madame.

LE ROI. — Allons, c’est une bonne et affectueuse réponse : soyez comme nous-mêmes en Danemark — Venez, Madame ; cet aimable et volontaire consentement d’Hamlet fait sourire mon cœur : pour le fêter, le roi de Danemark ne portera pas aujourd’hui une santé joyeuse, sans que le canon retentissant aille en avertir les nuages, et que les cieux, en répétant le terrestre tonnerre, proclament