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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/361

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comme élément, et pour servir de contraste ; ici au contraire elle est le tout du drame ; elle en pénètre les scènes les plus basses comme les passions les plus nobles.

Avec Hamlet nous nous plaignions du peu d’espace dont nous pouvions disposer pour le commentaire ; nous n’avons à formuler avec Othello aucune plainte de ce genre. Les caractères en sont si simples, si faciles à comprendre, les passions si familières à l’expérience de tous, les mobiles d’action si clairs, si accessibles à l’intelligence du premier venu, que la critique est dispensée de longues explications. Ici elle n’a rien à faire qu’à admirer et à écrire pour tout commentaire les trois épithètes que Voltaire voulait placer au bas de chacune des pages de l’Athalie de Racine : « beau, sublime, admirable ». Cependant les trois principaux caractères donnent lieu à quelques observations sur lesquelles nous voulons appeler sommairement l’attention du lecteur.

Nous avons dit plusieurs fois que les personnages de Shakespeare étaient à l’inverse des personnages de la tragédie française, non des types généraux et abstraits, mais des individus. Il faut s’entendre cependant. Shakespeare crée fort bien des types ; seulement il les crée par un procédé qui, s’il est tout le contraire du procédé français, est singulièrement conforme en revanche au génie de sa race et de son pays. Il crée des types par la méthode qu’inventait alors son grand compatriote, François Bacon, pour renouveler les sciences, par l’induction, la généralisation, la réunion et l’examen de tous les faits particuliers qui se rapportent à une même passion ou à un même sentiment ; aussi peut-on dire en toute vérité qu’il y a union absolue de doctrine entre le philosophe et le poète, et que ces deux grands hommes s’expliquent et se complètent l’un par l’autre. Shakespeare fait pour l’âme humaine ce que Bacon fait pour la nature. Nous avons déjà dit comment Roméo, par exemple, tout en restant un individu, se trouve réunir toutes les conditions d’où naît le