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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/362

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parfait amoureux. Il est jeune, et l’amour n’a tout son prix que dans l’extrême jeunesse ; il n’a pas connu en-, çore d’autre passion, et l’amour n’a toute sa force que lorsqu’il règne dans l’âme sans partage. Cet amour est soudain et violent, ce qui le sépare de tout mélange de sentiments contigus ou frères ; il est complet enfin, parce qu’il est physique autant que moral, et qu’il s’attache autant à la beauté de Juliette qu’à son âme. En outre Roméo est un méridional, et les méridionaux seuls portent dans l’amour assez de franchise et d’abandon pour ne laisser place en eux à aucun sentiment qui pourrait lui faire équilibre et obstacle. Le type d’Othello a été créé d’après le même procédé. Pour peindre la jalousie parfaite, Shakespeare a cherché et réuni toutes les conditions et toutes les circonstances qui permettent à cette passion de se révéler dans toute son intensité : Quel est l’âge par excellence de la jalousie ? Celui qui marque l’extrême frontière qui sépare la vie en deux parties égales, l’âge où l’homme attristé déjà par les premières brumes de son automne, voit fuir les riches campagnes de son printemps et de son été, et s’avancer les plaines glacées de son hiver. L’amour jaloux par excellence, c’est le dernier, parce qu’il est sans espoir de consolation et de revanche. Et quels sont les hommes qui par condition et profession sont le plus facilement et le plus cruellement atteints par les ravages de la jalousie ? les hommes dont le principal mobile d’action est l’honneur, c’est-à-dire les militaires, parce que l’amour trompé non-seulement détruit en eux le bonheur, mais blesse le ressort même de la vie, en sorte que l’homme social est atteint du même coup qui frappe l’homme privé. Et quelles sont les races les plus aptes à céder à la jalousie et à en ressentir toutes les souffrances ? L’expérience historique nous apprend que ce sont les races africaines, parce que, élevées dans l’absolue liberté du désert et de la tente, elles sont incapables de comprendre ces incessantes tran-