Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sactions, ces prudents ménagements et cette discrète tolérance que le jeu infinide passions réciproques et sans cesse renaissantes enseigne aux hommes de nos sociétés ; parce que pour elles le bonheur c’est, l’orgueil de l’âme que l’orgueil n’a son plein développement que parla sécurité et la confiance, et que l’amour trompé en détruisant la sécurité ruine en même temps toute possibilité de vie heureuse. Or Othello réunit, toutes ces conditions. Othello a dépassé depuis longtemps les limites de la jeunesse ; il a cinquante ans. Sa vie s’est passée dans les camps, loin des douceurs de la vie sociale qu’il a toujours ignorées ou auxquelles il n’a pensé, que poulies mépriser. C’est alors que le bonheur s’offre à lui d’une manière inespérée avec Desdémona. Son âme naïve s’ouvre avec le brûlant enthousiasme de sa race au tardif noviciat de l’amour ; il porte dans cette passion suprême tous les trésors de tendresse entassés en lui par l’austérité de sa vie militaire. Mais son amour n’est pas, ne peut pas être de même nature que celui de sa jeune femme. L’amour de Desdémona ne se compose que de dévouement, dans celui d’Othello l’égoïsme joue forcément un rôle actif. Desdémona aime le Maure pour lui-même ; Othello aime Desdémona moins pour elle que pour lui, moins par reconnaissance que pour le bonheur dont elle l’enivre ; il l’aime avec l’orgueil dont l’anobli aime son titre, avec l’avarice dont l’enrichi aime son trésor. Aussi son désespoir est-il extrême lorsque les premiers soupçons sont entrés en lui. La branche à laquelle il appuyait son bonheur craque, — et il se voit, saisi de vertige, rouler dans l’abîme. Sa vie entière est déshonorée par le coup qui le frappe, et l’honneur est atteint, en lui en même temps que l’amour. Othello est donc bien un type puisqu’il réunit toutes les conditions de la jalousie parfaite, sans en excepter une seule ; mais comme ces conditions composent sa personnalité même, il ne devient, un type qu’à force, pour ainsi dire, d’être un individu.