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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/364

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Je crois qu’on s’est trompé jusqu’ici sur le compte d’Iago. La plupart des critiques en font volontiers le type du traître profond, du Florentin élevé selon les doctrines de Machiavel, du scélérat de génie en un mot. Il m’est impossible de découvrir rien de pareil, dans lago, et j’y vois même tout le contraire. Iago c’est le type même de l’homme médiocre, le fruit sec par excellence. Tous les jours vous êtes coudoyés, abordés, approchés, par des milliers d’Iagos ; ils ne vous font-pas grand mal, il est vrai, la plupart du temps, parce que vous ne leur en donnez ni l’occasion, ni la liberté ; mais accordez-leur la moindre prise sur vous, et vous m’en direz des nouvelles. Quand vous voudrez savoir de quoi est capable un vulgaire imbécile, adressez-vous à Iago, il vous renseignera Iago est un obscur enseigné dont l’âme plate est indignée de se morfondre dans les rangs inférieurs de l’armée. Il a demandé à Othello un avancement que celui-ci n’a pas cru devoir lui ; accorder, et qu’il a au contraire donné à Cassio. Il y comptait d’autant mieux qu’il soupçonnait vaguement le général de serrer sa femme d’un peu trop près, et qu’avec la servilité de pareilles natures, il avait espéré profiter pour faire-plus rapidement son chemin de cette faiblesse supposée d’Othello. Il s’est vu désappointé, et le dépit entrant dans son âme comme l’atome de levain dans la pâte, l’aigrit sourdement, la fait fermenter, et enfin la pénètre tout entière du désir de la vengeance. Ce n’est point qu’il médite un grand crime ; sa petite âme n’est pas capable de telles résolutions ; non, il veut faire quelque chose qui puisse causer de la peine au Maure, blesser cette nature qu’il connaît si susceptible et si bouillante, lui mettre des cendres dans son potage, de la poudre piquante dans son lit, des épingles sous son siège. À l’origine ce n’est qu’un cruel farceur de caserne et de taverne, — un mystificateur de l’espèce méchante. Cette visqueuse bête à sang-froid ne veut d’abord que baver ; ce n’est que par degrés qu’il s’aperçoit qu’il a non-seulement la glu de