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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/387

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PREMIER SÉNATEUR. — Adieu, brave Maure ! traitez bien Desdémona.

BRAEANTIO. — Veille sur elle, Maure, si tu as des yeux pour voir ; elle a trompé son père, elle peut te tromper. (Sortent te Doge, les sénateurs, les officiers, etc.)

OTHELLO. — Ma vie pour gage de sa foi ! — Honnête Iago, je suis obligé de te laisser ma Desdémona : je t’en prie, que ta femme lui accorde ses services, et toi, conduis-les dans les meilleures conditions possibles. — Viens, Desdémona, je n’ai qu’une heure à te donner pour l’amour, les affaires d’intérêt et les dispositions à prendre : il nous faut obéir au temps. (Sortent Othello et Desdémona.)

RODERIGO. — Iago !

IAGO. — Que dis-tu, noble cœur ?

RODERIGO. — Que penses-tu que j’aie envie de faire ?

IAGO. — Parbleu, aller au lit et dormir.

RODERIGO. — Je vais aller me noyer de ce pas,

IAGO. — Si tu fais cela, je ne t’aimerai jamais plus ensuite. Allons donc, imbécile gentilhomme !

RODERIGO. — C’est imbécillité de vivre lorsque la-vie est un tourment, et nous avons une ordonnance en règle pour mourir, lorsque la mort est notre médecin.

IAGO. — Ô lâcheté ! Je suis au monde maintenant depuis quatre fois sept ans, et depuis que j’ai su distinguer entre un bienfait et une injure, je n’ai pas encore trouvé d’homme qui sût s’aimer lui-même. Avant de dire que je me noierais pour l’amour d’une poulette [14] j’échangerais ma condition d’homme contre celle d’un singe.

RODERIGO. — Que pourrais-je faire ? Je confesse que c’est pour moi une honte d’être amoureux à ce point ; mais je n’ai pas la vertu de m’en guérir.

IAGO. — La vertu ! figue pour elle ! C’est de nous-mêmes qu’il dépend d’être tels ou tels. Nos corps sont nos jardins, et nos volontés en sont les jardiniers ; de sorte que si nous voulons planter des orties où semer des laitues, enraciner l’hysope et sarcler le thyms four-