Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/39

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plus humaines. Rien de pareil n’existe pour Roméo et Juliette. Cette simplicité de caractère, cette ignorance de tout sentiment étranger à celui qui les possède font de Roméo et de Juliette les représentants non-seulement les plus poétiques, mais les plus absolus de la passion. « Les autres amants poétiques ne représentent que les diverses formes de l’amour ; Roméo et Juliette seuls représentent l’amour vrai et complet. Shakespeare a exprimé par eux tout ce que contient ce sentiment et tout ce qu’il est capable de faire rendre à la nature humaine lorsqu’il s’empare d’elle. On peut dire que dans ce drame, il a épuisé son attrayant sujet, et qu’il n’y a rien à ajouter après lui sur les caractères essentiels de cette passion. Comme le poète voulait peindre l’amour et rien que l’amour, il l’a séparé de toutes les affections et de toutes les passions qui l’avoisinent et se confondent avec lui, et l’a présenté sous sa forme la plus rare, mais aussi la plus vraie, parce qu’on ne peut la soupçonner d’emprunter quelque chose à des sentiments étrangers, l’amour spontané. Qui pourrait dire en effet quelle part revient à l’habitude, à l’amitié, à l’orgueil, à l’estime, à la reconnaissance, à l’admiration, au sentiment de l’honneur, dans les autres formes de l’amour ? Mais l’amour spontané et soudain ne peut être accusé de pareils emprunts puisqu’il ne naît que de lui-même ; c’est donc l’amour ramené à son essence la plus irréductible, et comme dirait un métaphysicien, le véritable amour en soi. « Voulant montrer à que degré de force peut atteindre l’amour et quel peu de compte il tient des intérêts humains, le poète l’a fait naître entre deux enfants de familles rivales qui, s’ils écoutaient la voix des préjugés sociaux, auraient plus de raisons pour se haïr que pour s’aimer, et pour se fuir que pour se chercher. Voulant exprimer tout ce que cette passion contient d’enivrement et de poésie, il a choisi l’âge de la vie où tout est lumière, force et beauté, où la volupté apparaît comme