Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
64
ROMÉO ET JULIETTE

ROMÉO. — Mille fois mauvaise nuit, puisque ta lumière me manque. — L’amour accourt vers l’amour comme les écoliers quittent leurs livres ; mais l’amour quitte l’amour, au contraire, comme les écoliers vont à l’école, avec une mine affligée. (Il se retire lentement !)

JULIETTE reparaît à la fenêtre.

JULIETTE. — Psst, Roméo, psst ! Oh ! que n’ai-je la voix d’un fauconnier pour faire revenir à moi ce gentil tiercelet 3 ! L’esclavage a la voix enrouée, et ne peut.parler haut, sans cela je percerais la caverne où dort Echo, et je rendrais sa voix aérienne plus enrouée que la mienne, à force de lui faire répéter le nom de mon Roméo.

ROMÉO. — C’est mon âme qui prononce mon nom : avec, quel doux timbré argentin résonnent les voix des amants pendant la nuit ! c’est comme la plus douce musique pour des oreilles attentives.

JULIETTE. — Roméo !

ROMÉO. — Ma chérie !

JULIETTE. — A quelle heure enverrai-je vers toi, demain ?

ROMÉO. — À neuf heures.

JULIETTE. — Je n’y manquerai pas. D’ici à ce moment, il va s’écouler vingt ans. J’ai oublié pourquoi je t’avais rappelé.

ROMÉO.— Permets-moi de rester ici jusqu’à ce que tu te le rappelles.

JULIETTE. — J’oublierai encore, afin de te faire rester, et ne me souviendrai que de l’amour que j’ai pour ta compagnie.

ROMÉO. — Et moi je resterai, pour te faire oublier encore, oublieux moi-même que j’ai un autre logis que ce jardin

JULIETTE. — Il est presque matin ; je voudrais que tu fusses parti, et cependant pas plus loin que l’oiseau d’une jeune folle qui le laisse s’éloigner un peu de sa main, pareil à un pauvre prisonnier dans ses entraves, et qui le