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REINE MAB 33

très indiciblement brillants, à travers lesquels roule la masse de la lune sans nuages, semble comme un dais que l’amour a étendu pour abriter le sommeil du monde. Ici de gracieux sommets, parés d’un vêtement de neige non foulée ; là, de sombres rochers, d’où pendent des glaçons si purs, que leurs blanches et étincelantes aiguilles ne nuancent pas le pur rayon de la lune ; plus loin un escarpement crénelé, dont la bannière, sur la tour consumée par le temps, pend si mollement que l’imagination frappée y voit comme l’image même de la paix ; — tout cela forme une scène où la solitude rêveuse aimerait à élever son âme au-dessus de cette sphère terrestre, où le calme du silence veillerait seul…. Une scène si fraîche, si brillante, si silencieuse !….

« L’orbe du jour, dans les régions du sud, sur la plaine sans vagues de l’Océan, plonge avec un doux sourire ; le plus léger souffle ne glisse pas à la dérobée sur le calme abîme ; les nuages du soir réfléchissent immobiles le rayon tardif du jour, et l’image de Vesper à l’occident brille d’une beauté silencieuse…. Demain arrive ! Nuage sur nuage, en masse noire et de plus en plus compacte, roule sur les eaux enténébrées ; le sourd mugissement du tonnerre lointain gronde formidable ; la tempête déploie son aile sur l’obscurité, linceul de la lame bouillonnante ; démon sans pitié, avec tous ses vents et ses éclairs, elle suit sa proie à la trace ; l’abîme déchiré bâille ! le navire trouve un tombeau dans son gouffre déchiqueté !

« Ah ! d’où vient cette lueur qui enflamme l’arche du ciel ?… cette fumée rouge et sombre qui voile la lune d’argent ? Les astres s’éteignent dans les ténèbres, et la neige pure et pailletée jette une faible lueur à travers