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REINE MAB

pendant que l’honneur est assis souriant au trafic de la vérité.

« Puis des hypocrites graves, à la tête blanchie, sans une espérance, une passion, un amour, après avoir, à travers une vie de luxe et de mensonge, rampé par la flatterie jusqu’aux sièges du pouvoir, soutiennent le système qui fut la source de leur fortune. Ils ont trois mots les tyrans en connaissent bien l’usage, ils en paient l’emprunt avec l’usure tirée du sang du monde : Dieu, Enfer et Ciel ! Dieu, un démon vindicatif, sans pitié et tout-puissant, dont la miséricorde est un sobriquet pour la rage de tigres indomptés altérés de sang ; l’Enfer, un rouge abîme de flammes éternelles, où des vers empoisonnés et immortels prolongent une éternelle misère pour ces malheureux esclaves, dont la vie a déjà été le châtiment de leurs crimes ; le Ciel, une récompense pour ceux qui se résignent à démentir leur nature d’hommes, à trembler, à croire, à faire des courbettes devant les moqueries du terrestre pouvoir.

« Voilà les instruments que le tyran emploie à son œuvre, qu’il manie dans sa colère, et qu’il brise comme il veut, tout-puissant dans sa perversité ; pendant que la jeunesse pousse, que la vieillesse tombe en poussière, l’âge mûr sans résistance fait la volonté du tyran, entraîné par l’appât d’un bonheur fugitif à prêter sa force à la faiblesse de son bras tremblant. Ils s’élèvent, ils tombent ; une génération vient livrer sa récolte à la faux de la destruction ; elle disparaît, une autre fleurit ! … Cependant regarde ! l’estampille du tyran brille rouge sur sa fleur, flétrissant et corrompant profondément son servile éclat. Il a inventé des paroles et des modes menteuses, vides et vaines comme son propre