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ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

cœur ; des significations évasives, des riens sonores, pour leurrer la victime étourdie et la pousser dans les filets tendus tout autour de la vallée de son paradis.

« Jette un regard sur toi-même, prêtre, conquérant, ou prince ! — Prêtre, ton commerce est mensonge, et tes convoitises se vautrent profondément dans le salaire du pauvre, avec qui vivait ton maître. Conquérant, tu te délectes, en comptant les myriades d’hommes que tu as tués ; toute espèce de misère ne pèse rien dans la balance en regard de ton éphémère renommée. Prince, roi nourri de pompes, tu accables la terre gémissante du poids de tes lâchetés et de tes crimes. Jette un regard sur ton être misérable ! N’es-tu pas, dis-moi, le plus véritable esclave qui jamais ail rampé sur cette horrible terre ? Tes jours ne sont-ils pas des jours de mortel ennui ? Et, avant que la longue torture de la nuit soit achevée, ne cries-tu pas : quand viendra le matin ? Ta jeunesse ! n’est-elle pas un vain et fiévreux rêve de volupté ? ta virilité, flétrie d’infirmités prématurées ? Les visions de ta mort non regrettée ne sont-elles pas lugubres, désespérées, horribles ? Ton esprit n’est-il pas infirme comme ton corps énervé, incapable de jugement, d’espérance ou d’amour ? Ne désires-tu pas voir les erreurs, qui te ferment toutes les sympathies du bien, survivre au misérable intérêt que tu as retiré de leur prolongation ? Quand le tombeau aura englouti ta mémoire et toi-même, ne désires-tu pas que le poison qui infecte la terre enlace ses racines autour de ton argile ensevelie, pour germer de les os, et fleurir sur ta tombe, afin que tes enfants puissent manger de son fruit et mourir ? «