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ŒUVRES POÉTIQUES DE SHELLEY

« Comme l’égoïste recherche vainement ce bonheur qui n’est accordé qu’à la vertu ! Aveugles et endurcis, ceux qui espèrent trouver la paix au milieu des orages du souci, qui convoitent un pouvoir dont ils ne savent pas comment user, et soupirent après un plaisir qu’ils refusent de donner ! Dans leur folie, ils trompent constamment leurs propres desseins, et quand ils espèrent jouir de ce repos que promet la vertu, l’amertume de l’âme, les cuisants regrets, les vaines repentances, la maladie, le dégoût, la lassitude envahissent leurs pauvres et misérables vies.

« Mais l’égoïsme à la tête blanchie a senti le coup de la mort, et le voilà chancelant vers la tombe. Un matin plus brillant attend le jour humain ; alors tout échange des dons naturels de la terre ne sera plus qu’un commerce de bonnes paroles et de bonnes œuvres ; alors la pauvreté et la richesse, la soif de la renommée, la crainte de l’infamie, la maladie et la douleur, la guerre avec ses mille horreurs, et le farouche enfer, ne vivront plus que dans la mémoire du Temps, qui, comme un libertin pénitent, tressaillira, regardera en arrière, et frémira au souvenir de ses jeunes années. »

VI

Tout toucher, tout œil, tout oreille, l’Esprit sentit le discours brûlant de la Fée. Sur la mince trame de son être, chacune des diverses périodes peignait des nuances changeantes, comme en un soir d’été, quand flotte tout autour de vous une musique qui enveloppe l’âme, le miroir sans tache du lac réfléchit le crépuscule de l’Orient, mêlant convulsivement ses nuances de pourpre avec l’or bruni du soleil couchant.