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LES STOÏQUES.

Tout racontait sa vie à la fois si pieuse
Et si morne.

Et si morne. Jamais elle n’avait connu
Le plaisir ni la joie. — À cet âge ingénu
Où l’enfant le plus humble & le plus triste espère,
Elle avait dû gagner son pain, la mort du père,
Celle du fils aîné qui le suivit bientôt,
Ayant laissé la mère & le frère idiot
À sa charge. On disait qu’un chagrin pire encore,
Le tourment de l’amour fidèle qu’on ignore
Ou qu’on méprise, avait en même temps jeté
Son ombre sur ce cœur de tout déshérité.
Mais cela même était incertain, car personne
Ne s’en était jamais occupé. — L’on ne donne
De pitié qu’aux malheurs qui font événement. —
Elle n’avait rien dit ; sa santé seulement
S’affaiblissait depuis cette époque fatale.
Toujours l’aiguille en main, & de plus en plus pâle,
Sans se plaindre jamais, quoi qu’elle eût à souffrir,
Sans prendre un seul moment de repos, sans ouvrir
Son âme où s’amassait la défiance amère,
Hors quand il lui fallut soigner sa vieille mère
Et la mettre au cercueil, pour la première fois