Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/159

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veut dire que je continuerai à me bien porter, — riposta le Grec.

Vinicius ne prêtait aucune attention aux paroles de Chilon.

Comme on approchait de la porte, un spectacle étrange s’offrit à leurs regards. L’Apôtre étant passé devant deux soldats, ceux-ci s’agenouillèrent tandis qu’il imposait les mains sur leurs casques de fer, puis les bénissait d’un signe de croix. Jamais encore il n’était venu à l’esprit du jeune patricien que des soldats pussent être chrétiens. Aussi songea-t-il avec étonnement à cette doctrine qui gagnait chaque jour de nouvelles âmes, s’étendait de façon insolite, comme dans une ville incendiée la flamme dévore à chaque minute de nouvelles constructions. C’était la preuve que, si Lygie avait voulu fuir la ville, elle eût trouvé sur son chemin des sentinelles qui eussent favorisé sa fuite. Il remercia les dieux que cette éventualité ne se fût pas produite.

Après avoir dépassé les terrains vagues situés sous les murs de la ville, les petits groupes de chrétiens commencèrent à se disperser. Maintenant, il fallait suivre Lygie avec plus de précautions, de crainte d’attirer l’attention. Chilon recommençait à se plaindre des blessures et des crampes qu’il avait aux jambes, et il ralentissait de plus en plus sa marche. Vinicius le laissait faire, pensant que le Grec, faible et poltron, ne pouvait plus lui être d’une grande utilité. Il lui permit même de s’en aller s’il le voulait ; mais l’honorable sage hésitait. Retenu par la prudence, il était poussé par la curiosité. Il continua donc à les suivre et les rejoignit même pour les avertir que le vieillard qui accompagnait l’Apôtre pourrait bien être Glaucos lui-même, malgré qu’il l’eût cru plus grand.

Ils cheminèrent ainsi longtemps encore, jusqu’au Transtévère, et le soleil allait se lever lorsque le groupe dont Lygie faisait partie se divisa. L’Apôtre, la vieille femme et le jeune garçon prirent au long du fleuve, tandis que l’autre vieillard, Ursus et Lygie gagnaient une ruelle étroite pour entrer, cent pas plus loin, dans le vestibule d’une maison où l’on voyait deux boutiques, l’une d’un marchand d’olives, l’autre d’un marchand de volailles.

Chilon, qui suivait Vinicius et Croton à cinquante pas environ, s’arrêta brusquement, se colla au mur et les appela à voix basse.

Ils revinrent vers lui, afin de se concerter.

— Va voir, — lui enjoignit Vinicius, — si cette maison n’a pas une seconde issue sur une autre rue.

Chilon, qui, l’instant d’avant, se plaignait de blessures aux pieds, détala aussi vite que s’il eût été chaussé des ailes de Mercure et revint promptement.

— Non, — dit-il, — il n’y a pas d’autre issue.