Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/257

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maîtres de l’univers, l’un qui bientôt allait s’effacer comme un rêve sanglant, l’autre, ce vieillard vêtu de laine rude, qui prendrait à jamais possession et de cette ville et du monde entier.

César avait passé. Immédiatement à sa suite parurent huit Africains, portant une litière magnifique où était assise cette Poppée honnie du peuple, vêtue comme César d’une tunique améthyste, le visage recouvert d’une épaisse couche de fard. Immobile, passive et indifférente, on eût dit une divinité à la fois belle et méchante, portée dans quelque procession religieuse. Derrière elle suivait une longue file de serviteurs des deux sexes et de chars remplis de ses ustensiles et de ses parures.

Depuis longtemps le soleil avait quitté le zénith lorsque commença le défilé des augustans, brillant cortège aux couleurs chatoyantes, se déroulant à l’infini comme un serpent. Le nonchalant Pétrone, accueilli avec sympathie par la foule, se faisait porter en litière avec son esclave favorite, semblable à une déesse. Tigellin s’avançait dans sa carucca attelée de petits chevaux empanachés de plumes blanches et rouges ; on le voyait à tout instant se lever, tendre le cou, pour voir si César ne lui ferait pas signe de monter auprès de lui. La foule saluait d’applaudissements Licinius Pison, de rires Vitellius, de sifflets Vatinius. Elle restait indifférente au passage des consuls Licinius et Lecanius ; mais Tullius Sénécion, aimé on ne sait pourquoi, fut, de même que Vestinus, accueilli par des acclamations.

La suite était innombrable ; on eût dit que tout ce qu’il y avait dans Rome de riche, de distingué, d’éminent, se transportait à Antium. Néron ne voyageait jamais qu’escorté de milliers de chars et le nombre de ses compagnons dépassait l’effectif d’une légion[1]. On se montrait Domitius Afer et le décrépit Lucius Saturninus ; Vespasien, qui n’était pas encore parti pour son expédition de Judée et qui devait en revenir pour ceindre la couronne impériale ; ses fils, et le jeune Nerva, et Lucain, et Annius Gallon, et Quintianus, et nombre de femmes célèbres par leur richesse, leur beauté, leur luxe et leurs mœurs dissolues.

Les regards de la foule passaient des visages familiers aux attelages, aux chars, aux vêtements chamarrés des gens de la suite, recrutés dans tous les pays du monde. Dans ce flot de faste et de grandeur, on ne savait qu’admirer d’abord : l’éclat de l’or, de la pourpre, de l’améthyste, le jeu des pierreries, le chatoiement de la nacre et de l’ivoire, non seulement aveuglaient les yeux, mais éblouissaient même la pensée. Il semblait que la lumière

  1. Au temps des Césars, une légion comptait environ 12 000 hommes. (Note de l’auteur.)