Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/258

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du soleil elle-même se fondît dans cette gamme des couleurs.

Dans la foule, il ne manquait pas de misérables au ventre creux, aux yeux d’affamés ; et pourtant ce spectacle attisait non seulement leur convoitise, mais leur donnait aussi l’orgueilleux sentiment de la force et de l’invulnérabilité romaines, devant lesquelles s’inclinait l’univers. Et, de fait, personne au monde n’eût osé croire que cette force ne survivrait pas à tous les siècles et à tous les peuples, et que quelque chose sur la terre pût s’y opposer.

Vinicius venait à la fin du cortège. En apercevant l’Apôtre et Lygie, qu’il n’espérait pas rencontrer, il sauta de son char et, le visage rayonnant, il se mit à parler à mots précipités, comme quelqu’un qui n’a pas de temps à perdre.

— Tu es venue ? Je ne sais comment te remercier, ô Lygie !… Dieu ne pouvait m’envoyer meilleur présage. Avant de te quitter, je te salue encore une fois, mais nous ne serons pas séparés pour longtemps. Je vais poster sur ma route des relais de chevaux parthes et je passerai auprès de toi chaque jour de liberté, jusqu’à ce qu’il me soit permis de revenir. Porte-toi bien !

— Porte-toi bien, Marcus, — lui répondit Lygie.

Et tout bas elle ajouta :

— Que le Christ te guide et qu’il ouvre ton âme aux paroles de Paul !

Vinicius, heureux qu’elle désirât le voir devenir au plus tôt chrétien, lui répondit :

Ocelle mi ! qu’il soit fait ainsi que tu le dis ! Paul a préféré marcher parmi mes hommes ; mais il est avec moi et il sera mon maître et mon compagnon… Soulève ton voile, toi, ma seule joie, pour que je te contemple encore avant de partir. Pourquoi t’es-tu ainsi cachée ?

Elle releva son voile, découvrant son visage rayonnant et l’éclat de ses admirables yeux rieurs et demanda :

— Est-ce mal ?

Il y avait dans son sourire de l’espièglerie enfantine. Vinicius la contempla, ravi, et lui répondit :

— C’est mal pour mes yeux, qui voudraient ne voir que toi jusqu’à la mort.

Puis, il se tourna vers Ursus et dit :

— Ursus, veille sur elle comme sur la prunelle de tes yeux, car elle n’est plus seulement ta domina, mais aussi la mienne.

Sur ces mots, il saisit la main de la jeune fille et la porta à ses lèvres, devant la foule stupéfaite de voir un augustan de marque accorder un pareil témoignage de respect à une jeune fille vêtue presque comme une esclave.