Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/27

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beau que tous les hommes et que tous les dieux de la Grèce et de Rome, dont elle voyait les statues aux frontons des temples. Doucement, il lui prit entre ses doigts le bras au-dessus du poignet et demanda :

— Ne comprends-tu pas, Lygie, pourquoi je te dis ces choses, à toi ?…

— Non ! — murmura-t-elle, si bas que Vinicius l’entendit à peine.

Il n’en crut rien, et, pressant plus fort son bras, il l’eût attirée sur son cœur battant comme un marteau, tant était puissant le désir qu’éveillait en lui l’adorable jeune fille, il l’eût grisée de paroles brûlantes, si, dans le sentier bordé de myrtes, n’était apparu le vieil Aulus, qui s’approcha d’eux et leur dit :

— Le jour décline ; prenez garde à la fraîcheur du soir et ne plaisantez pas avec Libitina.

— Mais, — répondit Vinicius, — j’ai quitté ma toge, et je ne sens pas le froid.

— Pourtant, la moitié du disque est déjà cachée derrière le mont, — reprit le vieux guerrier. Ce n’est pas le doux climat de Sicile où, le soir, le peuple s’assemble sur les places pour saluer par des chœurs le coucher de Phœbus.

Déjà, ne se souvenant plus qu’il venait d’évoquer la dangereuse Libitina, il se prit à les entretenir de ses biens de Sicile, et de la vaste exploitation agricole qui lui tenait au cœur. Il rappela que souvent lui était venu le désir de se transporter dans cette contrée et d’y achever paisiblement ses jours. Celui dont la tête est blanche n’aime plus les frimas de l’hiver. Aujourd’hui, les feuilles tiennent encore aux arbres, et sur la ville rit un ciel clément ; mais quand jaunira la vigne, que la neige s’étendra sur les sommets albains, quand les dieux souffleront sur la Campanie un vent qui glace, qui sait si alors, avec toute sa maison, il ne gagnera pas ses pénates champêtres ?

— Songerais-tu donc à quitter Rome, Plautius ? — demanda Vinicius déjà inquiet.

— J’y songe depuis longtemps, — répondit Aulus ; là-bas, on est plus tranquille et plus en sécurité.

Il vanta de nouveau ses vergers, ses troupeaux, sa maison enfouie dans la verdure, et les collines tapissées de thym et de serpolet, où bourdonnent des essaims d’abeilles. Mais cette note bucolique laissait froid Vinicius, trop absorbé par la pensée qu’il pouvait perdre Lygie et regardant vers Pétrone, comme vers le seul être capable de lui prêter aide en ce cas.