Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/276

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— Oui, parce que tu aimes une vestale chrétienne qui demeure par-delà le Tibre. Je ne m’en étonne pas. Je m’étonne plutôt qu’en dépit de cette doctrine qui, pour toi, est un océan de bonheur, et malgré cet amour qui sera bientôt couronné, la tristesse ne quitte plus ton visage. Pomponia Græcina est sempiternellement morose, et toi, depuis que tu es chrétien, tu as cessé de sourire. Ne me dis donc pas que c’est là une doctrine joyeuse. Tu es revenu de Rome plus mélancolique encore et, si c’est ainsi que vous vous aimez, vous autres chrétiens, par la blonde chevelure de Bacchus, je ne suivrai jamais vos traces !

— C’est autre affaire, — répondit Vinicius, — et moi je te jure, non par les cheveux de Bacchus, mais sur l’âme de mon père, que je n’aurais même jamais pu m’imaginer le bonheur que je respire à présent. Toutefois la séparation m’est douloureuse et, chose plus étrange, dès que je suis loin de Lygie, il me semble qu’un danger est suspendu sur sa tête. Je ne sais lequel, je ne sais d’où il peut venir, mais je le pressens, comme on pressent l’orage.

— Dans deux jours, je me fais fort de t’obtenir la permission de quitter Antium pour le temps que tu voudras. Poppée est plus calme et, autant que je sache, rien de sa part ne vous menace, ni toi, ni Lygie.

— Aujourd’hui encore elle m’a demandé le motif de mon voyage à Rome, et pourtant mon départ avait été secret.

— Peut-être te fait-elle espionner. Mais, à présent, elle aussi devra compter avec moi.

Vinicius reprit :

— Paul enseigne que Dieu donne parfois des avertissements, mais qu’il interdit de croire aux présages. Je me défends donc contre ces pressentiments, mais sans pouvoir m’y soustraire. Je vais te dire, pour me soulager le cœur, ce qui s’est passé. Lygie et moi étions assis l’un près de l’autre, par une nuit sereine comme celle-ci, et nous faisions des projets d’avenir. Je ne saurais te dire combien nous étions heureux et calmes. Soudain, des lions se mirent à rugir. La chose est commune à Rome et cependant, depuis lors, je n’ai plus un instant de tranquillité. Il me semble qu’il y avait là comme un présage de malheur… Tu sais si la peur a facilement prise sur moi. Mais, à ce moment, l’anxiété a obscurci toute cette nuit de ténèbres ; et cela est arrivé d’une façon si étrange et si inattendue qu’aujourd’hui encore ces rugissements résonnent à mes oreilles et que mon cœur est rempli d’une inquiétude continuelle, comme si Lygie avait besoin d’être défendue contre quelque chose d’épouvantable… On dirait presque que c’est contre ces lions. Et cela me torture. Obtiens-moi