Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/277

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donc la permission de partir, ou bien je partirai sans permission. Je ne puis rester ici, je te le répète. Je ne le puis !

Pétrone se mit à rire :

— Nous n’en sommes pas là encore, — dit-il, — que les fils des personnages consulaires ou leurs femmes soient livrés aux lions dans les arènes. Vous pouvez périr de tout autre mort, non de celle-là. Qui sait d’ailleurs si c’étaient des lions ? Les taureaux sauvages de Germanie rugissent tout aussi fort. Pour moi, je me moque des présages et des sorts. Hier, la nuit était noire et j’ai vu tomber une pluie d’étoiles. Beaucoup se troublent à cette vue ; moi, je me suis dit : si parmi elle se trouve aussi la mienne, du moins serai-je en nombreuse compagnie !…

Il garda un moment le silence, réfléchit et ajouta :

— D’ailleurs, vois-tu, si votre Christ est ressuscité, il peut vous préserver de la mort, vous aussi.

— Il le peut, — répondit Vinicius en contemplant le ciel parsemé d’étoiles.


Chapitre XLI.

Néron jouait et chantait, en l’honneur de la « Déesse de Cypre », un hymne dont il avait composé les vers et la musique. En voix ce jour-là, il sentait que sa musique charmait réellement ses auditeurs ; cette conviction ajoutait tant de force à son chant et remuait si bien son âme qu’il paraissait inspiré. À la fin, il pâlit d’une émotion sincère. Pour la première fois de sa vie, il se déroba aux louanges des assistants. Il s’assit un moment, les mains appuyées sur la cithare, la tête penchée, puis il se leva tout à coup et dit :

— Je suis fatigué et j’ai besoin d’air. En attendant, qu’on accorde les cithares.

Et il s’entoura le cou d’un foulard de soie.

— Venez avec moi, — dit-il à Pétrone et à Vinicius assis dans un coin de la salle. — Toi, Vinicius, donne-moi le bras, car les forces me manquent ; Pétrone va me parler de musique.

Ils sortirent sur la terrasse du palais, dallée de marbre et saupoudrée de safran.

— On respire mieux ici, — fit Néron. — Mon âme est troublée et triste, bien que je sente qu’avec ce que je vous ai chanté à titre d’essai, je pourrai paraître en public et remporter un triomphe qu’aucun autre Romain n’aura connu.

— Tu peux paraître ici, à Rome et en Achaïe. Je t’ai admiré