Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/321

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soudain, il prit la main de Lygie, et d’une voix où vibrait l’énergie du soldat romain :

— Écoutez-moi, Pierre, Linus, et toi, Lygie ! Je disais ce que me conseillait la raison des hommes ; celle qui habite votre âme à vous ne relève que des commandements du Sauveur. Oui ! je n’ai pas compris ; oui ! je me suis trompé, — car les écailles ne sont pas tombées de mes yeux, et ma nature ancienne n’est pas encore tout à fait morte en moi. Mais j’aime le Christ et je veux être son serviteur ; et, bien qu’il s’agisse ici pour moi de quelque chose de plus précieux que ma propre existence, je m’agenouille devant vous et je jure que, moi aussi, j’accomplirai le commandement d’amour et n’abandonnerai point mes frères au jour du désastre !

Ayant ainsi parlé, il s’agenouilla, leva les yeux au ciel et s’écria avec enthousiasme :

— Ô Christ ! t’ai-je enfin compris ? Suis-je digne de toi ? Ses mains tremblaient ; ses yeux brillaient de larmes ; son corps frémissait d’amour et de foi. Alors l’Apôtre Pierre prit une amphore de grès, et s’approchant avec solennité, dit :

— Je te baptise, au nom du Père, et du Fils, et de l’Esprit-Saint ! Amen !

Et tous s’abandonnèrent à l’extase religieuse. Pour eux, la hutte resplendit d’une clarté miraculeuse ; ils entendirent des musiques célestes ; les rochers de la caverne s’entrouvrirent au-dessus de leurs têtes ; du ciel descendit vers eux un vol d’anges, et là-haut, dans l’espace, ils virent une croix, et deux mains trouées qui bénissaient.

Au-dehors, retentissaient les clameurs des combattants et le crépitement des flammes dans la ville incendiée.


Chapitre XLIX.

La plèbe campait dans les magnifiques Jardins de César, jadis ceux de Domitia et d’Agrippine, sur le Champ de Mars et dans les Jardins de Pompée, de Salluste et de Mécène. Il avait élu domicile sous les portiques, dans les bâtisses affectées au jeu de paume, dans les luxueuses villas estivales et dans les baraques destinées aux bêtes fauves. Les paons, les flamants, les cygnes et les autruches, les gazelles et les antilopes d’Afrique, les cerfs et les biches qui faisaient l’ornement des jardins, avaient été égorgés et dévorés par la populace. Les approvisionnements arrivaient d’Ostie en si grande quantité que l’on pouvait circuler sur les radeaux et les barques, comme sur un pont, d’un bord à