Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/337

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alimenteront ; après, seulement, il songera à moi. Il est donc inutile de me tourmenter ou de changer mon genre de vie. Un danger plus pressant menace Vinicius !… »

Alors, il ne pensa plus qu’à ce dernier, et résolut de le sauver. Parmi les cheminées, les ruines et les monceaux de cendres qui encombraient toujours les Carines, les quatre robustes esclaves qui portaient sa litière se hâtaient ; impatient, il leur ordonna de prendre le pas de course. Par bonheur, Vinicius qui habitait chez lui, son insula ayant flambé, se trouvait là.

— Es-tu allé chez Lygie, aujourd’hui ? — lui demanda aussitôt Pétrone.

— Je viens de la quitter.

— Écoute ce que je vais te dire, et ne perds pas de temps à me questionner sur les détails. Aujourd’hui même, chez César, on a décidé d’imputer aux chrétiens l’incendie de Rome. Il y aura des persécutions et des tortures qui vont commencer sur-le-champ. Prends Lygie et fuyez sur l’heure de l’autre côté des Alpes, ou en Afrique. Et hâte-toi, car le Palatin est plus près que ma maison du Transtévère.

Vinicius était trop homme de guerre pour perdre son temps en questions oiseuses. Il avait écouté, les sourcils froncés, le visage concentré et grave, mais sans épouvante. Dans cette nature, la première sensation était le désir de la lutte.

— J’y vais, — fit-il.

— Un mot encore : emporte une bourse pleine d’or, prends des armes et une poignée de tes chrétiens. En cas de besoin, reprends Lygie de vive force !

Vinicius était déjà sur le seuil de l’atrium.

— Envoie-moi des nouvelles par un esclave, — cria encore Pétrone.

Resté seul, il se mit à aller et venir le long des colonnades qui soutenaient l’atrium, en réfléchissant à ce qui allait survenir. Il savait qu’après l’incendie, Lygie et Linus avaient réintégré leur ancienne demeure, intacte comme la plus grande partie de ce quartier ; c’était une circonstance défavorable, car il eût été moins aisé de les retrouver dans la multitude. Mais il ne pouvait supposer qu’au Palatin on connût leur refuge ; en tout cas, Vinicius devancerait les prétoriens. L’idée lui vint aussi que Tigellin, voulant d’un coup de filet prendre le plus grand nombre possible de chrétiens, serait forcé d’étendre son filet sur Rome entière et de fractionner ses prétoriens en très petits groupes.

« Si l’on n’envoie qu’une dizaine d’hommes, — se disait-il, — le géant lygien leur rompra les côtes. Et d’ailleurs, Vinicius arrivera à la rescousse… »