Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/338

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Cette pensée lui redonna confiance. À vrai dire, résister aux prétoriens, les armes à la main, c’est faire la guerre à César. Pétrone savait également que si Vinicius échappait à la vengeance de Néron, cette vengeance pouvait retomber sur lui-même ; mais il s’en souciait peu. Par contre, il se réjouissait à l’idée de bouleverser les plans de César et de Tigellin. Il décida de n’épargner ni l’argent ni les hommes ; et Paul de Tarse ayant déjà converti à Antiar la plupart de ses esclaves, il était assuré de pouvoir compter sur leur zèle pour défendre des chrétiens.

L’entrée d’Eunice interrompit ses réflexions. À sa vue, toutes ses inquiétudes et ses soucis disparurent : il oublia César, il oublia la disgrâce, les infâmes augustans et les persécutions qui menaçaient les chrétiens. Il oublia Vinicius et Lygie, pour ne regarder qu’Eunice avec les yeux de l’esthète épris de formes merveilleuses, et de l’amant, pour qui l’amour respire en ces formes. Vêtue d’une gaze violette de Cos qui laissait transparaître son corps rose, elle était divinement belle. Se sentant admirée, le chérissant de toute son âme, toujours avide de ses caresses, elle rougit de joie, non comme une maîtresse, mais comme une enfant innocente.

— Que me diras-tu, Charite ? — lui demanda-t-il, les deux mains tendues vers elle.

Inclinant vers lui sa tête dorée, elle lui répondit :

— Anthémios est venu avec ses chanteurs, et il demande si tu désires l’entendre aujourd’hui.

— Qu’il attende ; il nous chantera son hymne à Apollon quand nous serons à table. Bien que nous soyons entourés de ruines et de cendres, nous écouterons l’hymne à Apollon. Par les bois de Paphos ! quand je te vois ainsi dans cette coa vestis, il me semble qu’Aphrodite s’est voilée d’un pan de ciel et se tient devant moi.

— Ô mon maître ! — fit Eunice.

— Viens, Eunice, enlace-moi et donne-moi tes lèvres… Tu m’aimes ?

— Je ne saurais aimer Zeus davantage.

Et toute frémissante de bonheur, elle le baisa aux lèvres.

— Et s’il fallait nous séparer ?… — demanda Pétrone après un silence.

Eunice eut un regard d’angoisse :

— Comment, seigneur ?…

— Ne crains rien… Peut-être serai-je simplement forcé de faire un long voyage…

— Emmène-moi…

Mais Pétrone, changeant de conversation, demanda :

— Dis-moi : y a-t-il des asphodèles sur les pelouses du jardin ?