Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/339

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— Dans le jardin, les cyprès et les pelouses sont jaunis depuis l’incendie ; les myrtes se sont effeuillés et tout le jardin semble mort.

— Rome entière semble morte, et bientôt elle sera un cimetière. Sais-tu qu’il va y avoir contre les chrétiens un édit en vertu duquel on va les persécuter, les faire périr par milliers ?

— Pourquoi les punirait-on, seigneur ? Ils sont si doux et si bons.

— Justement pour cela.

— Allons à la mer. Tes yeux divins n’aiment pas la vue du sang.

— En attendant, il faut que je prenne mon bain. Tu viendras à l’elæothesium m’oindre les bras. Par la ceinture de Cypris ! jamais tu ne fus si belle. Je te ferai faire une baignoire recourbée en conque, où tu seras une perle précieuse… Tu viendras, ma belle tête d’or.

Pétrone se retira, et, une heure après, tous deux couronnés de roses et les yeux légèrement voilés, prenaient place à la table couverte de vaisselle d’or et servie par des adolescents costumés en amours. Tout en buvant dans les coupes festonnées de lierre, ils écoutaient l’hymne à Apollon que les chanteurs d’Anthémios chantaient au son des harpes. Que leur importaient, autour de la villa, ces cheminées dressées au milieu des décombres, et le vent qui dispersait à son gré les cendres charbonneuses de la cité incendiée ! Ils étaient heureux et ne pensaient qu’à l’amour, qui transformait leur vie entière en un songe divin.

Mais, avant la fin de l’hymne, l’esclave préposé à la garde de l’atrium pénétra dans la salle.

— Seigneur, — dit-il d’une voix où perçait l’inquiétude, — il y a devant la porte une section de prétoriens, avec un centurion qui désire te parler par ordre de César.

Les chants, le son des harpes cessèrent. L’inquiétude s’empara des assistants, car César, dans ses relations avec ses amis, n’employait pas les prétoriens ; en ce temps-là, leur arrivée ne prédisait rien de bon. Seul, Pétrone ne montra pas la moindre émotion et, comme un homme ennuyé par de continuelles invitations, il se contenta de dire :

— On pourrait bien me laisser dîner en paix. Puis, s’adressant au gardien de l’atrium :

— Fais-le entrer.

L’esclave disparut derrière le rideau ; un instant après, on entendit un pas lourd et cadencé et dans la salle entra, tout armé et casqué de fer, le centurion Aper, que connaissait Pétrone.

— Noble seigneur, — dit-il, — voici une missive de César.

Pétrone tendit avec nonchalance sa main blanche, prit les tablettes,