Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/340

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y jeta un rapide coup d’œil et, très calme, les remit à Eunice.

— Il va nous lire ce soir, — dit-il, — un nouveau chant de la Troïade, et il m’invite à venir.

— J’ai seulement l’ordre de remettre la missive, — dit le centurion.

— C’est bien, il n’y aura pas de réponse. Mais peut-être, centurion, te reposeras-tu auprès de nous, le temps de vider un cratère.

— Je te remercie, noble seigneur ; je boirai avec plaisir un cratère à ta santé ; mais je ne puis me reposer, étant en service commandé.

— Pourquoi t’a-t-on chargé de cette missive, au lieu de me l’envoyer par un esclave ?

— Je l’ignore, seigneur. Peut-être parce qu’on m’expédiait dans ces parages pour un autre service.

— Je sais, — dit Pétrone, — contre les chrétiens.

— Oui, seigneur.

— La poursuite a commencé depuis longtemps ?

— Avant midi quelques détachements sont partis déjà pour le Transtévère.

Le centurion répandit en l’honneur de Mars quelques gouttes de vin sur les dalles, vida la coupe et dit :

— Que les dieux te donnent, seigneur, ce que tu peux désirer.

— Emporte le cratère, — dit Pétrone.

Et il fit signe à Anthémios de reprendre l’hymne à Apollon.

« Barbe d’Airain commence à jouer avec moi et avec Vinicius, — songeait-il tandis que résonnaient les harpes. — Je vois son intention : il a pensé me terrifier en m’envoyant son invitation par un centurion. Ce soir, ils vont questionner cet homme sur la façon dont je l’ai reçu. Non, non, tu n’auras pas cette joie, pantin méchant et cruel ! Je sais que je n’échapperai pas à ma perte ; mais si tu espères que je regarderai tes yeux avec des yeux suppliants, que sur mon visage tu pourras lire la peur et l’humilité, tu te trompes. »

— César t’écrit, seigneur : « Viens, si tu en as envie », — dit Eunice. — Iras-tu ?

— Je suis d’excellente humeur, et je me sens en état d’écouter même ses vers, — répliqua Pétrone. — J’irai donc, d’autant plus que Vinicius ne le peut pas.

Après le dîner, il fit sa promenade habituelle, s’abandonna aux mains des coiffeuses et des plieuses de toges, et une heure plus tard, beau comme un dieu, il se fit porter au Palatin. L’heure était tardive, la soirée calme et chaude. La lune brillait d’une clarté