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à raffermir l’espoir du jeune tribun, autant par compassion que par raffinement d’esthète : si Vinicius devait mourir, il mourrait en beauté, et non avec un visage noir d’insomnies.

— Aujourd’hui, je dirai à l’Augusta à peu près ceci : « Sauve Lygie pour Vinicius, et moi, je sauverai Rufius pour toi. » Et je vais vraiment y songer. Avec Barbe d’Airain, un mot dit à propos peut sauver ou perdre quelqu’un. Dans tous les cas, nous gagnerons du temps.

— Merci, — répéta Vinicius.

— La meilleure façon de me remercier, c’est de prendre quelque nourriture et de te reposer. Par Athéné ! Odysseus, aux moments les plus difficiles, n’oubliait pas de manger et de dormir. Tu as sans doute passé toute la nuit à la prison ?

— Non. J’ai essayé d’y retourner ce matin ; mais ils ont reçu l’ordre de ne laisser entrer personne. Tâche donc de savoir si cet ordre est valable pour aujourd’hui seulement, ou jusqu’au jour des jeux.

— Je m’en informerai cette nuit et te dirai demain matin pour combien de temps et pourquoi cet ordre est donné. À présent, je vais me coucher, dût Hélios en descendre, de dépit, dans les régions cimmériennes. Et je te conseille de suivre mon exemple.

Ils se quittèrent ; mais Vinicius passa dans la bibliothèque et écrivit à Lygie.

Il porta lui-même sa lettre au centurion chrétien, qui pénétra aussitôt dans la prison et revint bientôt avec un salut de Lygie et la promesse d’une réponse pour le jour même.

Mais Vinicius ne voulait pas rentrer au logis. Il s’assit sur une borne pour attendre la lettre. Déjà le soleil montait dans le ciel et, par le Clivus Argentarius, des foules compactes dévalaient vers le Forum. Les colporteurs énuméraient leurs marchandises ; les diseurs de bonne aventure offraient leurs services aux passants ; les citoyens se dirigeaient gravement vers les rostres, pour y entendre les orateurs d’occasion ou pour se communiquer les dernières nouvelles. À mesure que la chaleur augmentait, des foules plus nombreuses de fainéants cherchaient un abri sous le péristyle des temples. Des nuées de pigeons quittaient bruyamment le dessous des portiques, leur plumage blanc étincelant dans la lumière du soleil et dans l’azur du ciel.

Sous la caresse des rayons solaires et de la chaleur, Vinicius fermait les yeux. Les cris monotones des gamins qui, près de là, jouaient à la mora, et le pas cadencé des soldats le berçaient. Plusieurs fois encore il leva la tête et dirigea ses regards vers la prison, puis, s’adossant à une arête du rocher, il poussa un soupir, comme un enfant qui s’endort après avoir longtemps pleuré, et s’assoupit.