Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans une équipe de fossoyeurs exposés aux émanations des prisons et des Fosses Puantes, et s’attelât à une besogne que la plus noire misère ou l’esclavage pouvaient seuls imposer à un homme ?

Quand vint le soir attendu, il se ceignit les reins avec joie et s’enveloppa la tête de linge imbibé d’essence de térébenthine ; puis, le cœur battant, il se rendit avec les autres à l’Esquilin.

La garde prétorienne ne les gênait en rien. D’ailleurs, ils étaient tous munis de tessera, que le centurion contrôla à la lueur des lanternes. Un instant après, la grande porte de fer s’ouvrit devant eux et ils entrèrent.

Vinicius vit un large caveau voûté donnant accès dans un grand nombre d’autres caves. De pâles quinquets éclairaient le souterrain, bondé de prisonniers : les uns, étendus le long des murs, dormaient ; peut-être étaient-ils morts ; d’autres faisaient cercle autour d’une auge centrale remplie d’eau et buvaient ; d’aucuns étaient assis par terre, les coudes aux genoux et la tête dans les deux mains. Çà et là, des enfants reposaient, blottis contre leurs mères. On entendait des hoquets de malades, des sanglots, le murmure des prières, des hymnes chantonnés à mi-voix et les blasphèmes des gardiens. Il régnait dans le souterrain une puanteur de cadavres et un chaos indescriptible. Sous les voûtes ténébreuses, s’agitaient de sombres silhouettes ; plus près, sous les lueurs vacillantes, on distinguait des visages blêmes, aux joues caves, aux yeux éteints ou fiévreux, aux lèvres bleuâtres, avec des cheveux agglutinés et des rigoles de sueur sur le front. Dans les coins, des malades déliraient. Des gens demandaient de l’eau ; d’autres suppliaient qu’on les menât à la mort. Et pourtant cette prison était moins horrible que le vieux tullianum.

Les jambes de Vinicius fléchirent et l’air manqua dans sa poitrine. À la pensée que Lygie se trouvait dans ce lieu de malédiction et de souffrance, ses cheveux se dressèrent et sa gorge se serra. L’amphithéâtre, les crocs des fauves, la croix, tout plutôt que ces effroyables souterrains infectés de puanteur cadavérique, d’où s’élèvent sans cesse des voix qui supplient : « Conduisez-nous à la mort ! »

Vinicius crispa si fort ses poings que ses ongles lui entrèrent dans les paumes. Il se sentit défaillir. Tout ce qu’il avait éprouvé jusqu’alors, son amour, sa douleur, tout se mua en une seule chose : l’unique soif de mourir.

À ce moment, il entendit la voix du gardien des Fosses Puantes :

— Combien de cadavres aujourd’hui ?

— Bien une douzaine, — répondit le surveillant de la prison ; –