Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/409

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mais d’ici au matin, il y en aura davantage ; déjà quelques-uns râlent là-bas au pied des murs.

Et il se mit à récriminer contre les femmes qui cachaient leurs enfants morts, pour les garder plus longtemps auprès d’elles. L’odeur seule faisait trouver les cadavres. C’est pourquoi l’air, vicié déjà, devenait plus méphitique encore.

— Je préférerais, — disait l’homme, — être esclave dans quelque ergastule de campagne que surveiller ces chiens qui pourrissent tout vivants.

Le gardien des Fosses le consolait en l’assurant que ce n’était pas encore là la pire des besognes.

Cependant, Vinicius revint à la réalité et se mit à regarder autour de lui. Mais il cherchait en vain Lygie et lui vint à l’esprit qu’il ne la reverrait plus vivante. Il y avait de nombreux caveaux communiquant entre eux par des brèches fraîchement percées, et les fossoyeurs ne pénétraient que dans ceux où il y avait des cadavres à enlever. Il fut donc terrifié en songeant que peut-être ce qui lui avait coûté tant de peines ne lui servirait à rien.

Heureusement le gardien des Fosses vint à son aide :

— Il faut emporter immédiatement les morts, — dit-il, — car l’épidémie se propage surtout par les cadavres ; sinon, vous mourrez tous, vous et les prisonniers.

— Nous sommes dix pour tous les caveaux, — répondit le geôlier, — et il faut pourtant que l’on dorme.

— Alors, je vais te laisser quatre de mes hommes : ils feront le tour des caves pour voir s’il s’y trouve des morts.

— Si tu fais cela, je t’offrirai à boire demain. Mais qu’on porte chaque corps au contrôle ; l’ordre est arrivé de leur percer le cou ; et ensuite : à la Fosse !

— C’est entendu, mais on boira un coup, — fit le gardien.

Celui-ci désigna quatre hommes, dont Vinicius, et se mit avec les autres à entasser les cadavres sur des brancards.

Vinicius respira. Maintenant au moins, il était certain de retrouver Lygie.

Il commença par explorer minutieusement le premier souterrain. Il plongea ses regards dans tous les recoins où la lumière parvenait à peine ; il examina le visage des dormeurs étendus le long des murs, inspecta les prisonniers les plus malades qu’on avait traînés à l’écart ; mais nulle part il ne put découvrir Lygie. Dans la deuxième et la troisième galerie, ses recherches furent aussi infructueuses.

Cependant, il se faisait tard : les corps étaient enlevés. Les gardiens s’étaient étendus dans les couloirs séparant les caveaux et dormaient ; les enfants, las de pleurer, s’étaient tus ; on ne percevait