Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/466

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des festins de Pétrone, ceux de Néron étaient ennuyeux et barbares. Il n’était venu à l’idée de personne que ce dût être là l’ultime symposion. On n’ignorait pas, il est vrai, qu’un nuage de mécontentement planait sur l’élégant Arbitre ; mais la chose avait souvent eu lieu et toujours Pétrone avait réussi à dissiper l’orage, d’une manœuvre habile, d’une parole hardie. Aussi, nul ne le croyait-il menacé d’un danger réel. Son visage rieur et insoucieux acheva de confirmer cette opinion. La ravissante Eunice, à qui il avait dit qu’il désirait mourir calme et pour qui chaque parole de lui était un oracle, gardait sur ses traits une placidité complète, et, dans ses prunelles, une étrange lueur qu’on eût pu prendre pour de la joie. À la porte du triclinium, des adolescents aux cheveux bouclés et recouverts d’une résille d’or couronnaient de roses le front des arrivants, en les avertissant, selon la coutume, de franchir le seuil du pied droit. Le triclinium embaumait la violette. Des lumières multicolores brûlaient dans des lampes en verre d’Alexandrie. Auprès des couches se tenaient des fillettes chargées de répandre des parfums sur les pieds des invités. Contre le mur, les citharistes et les chœurs attendaient le signal de leur chef.

Le service resplendissait de luxe, mais ce luxe ne frappait pas, n’écrasait pas, et semblait tout naturel. Une joie sans contrainte flottait dans l’air, se mêlant à l’arôme des fleurs. En pénétrant dans cette maison, les invités ne sentaient flotter sur eux ni contrainte, ni menace, ainsi que cela avait lieu chez César, quand les louanges peu enthousiastes ou maladroites, pour son chant ou ses vers, pouvaient coûter la vie. Ici, à la vue des lumières, des vins qui se reflétaient sur un lit de neige, et des mets raffinés, tous les cœurs étaient épanouis. Les conversations bourdonnaient avec entrain, comme bourdonne un essaim d’abeilles autour d’un pommier en fleur. Çà et là éclatait un rire joyeux, s’élevaient des approbations, ou bien retentissait sur la blancheur d’une épaule nue un baiser sonore.

Les convives buvaient et répandaient quelques gouttes de vin sur le sol, en l’honneur des dieux immortels et pour les rendre favorables au maître de céans. À dire vrai, celui-ci n’y croyait guère, mais telle était la coutume. Étendu à côté d’Eunice, Pétrone causait. Les dernières nouvelles de Rome, les derniers divorces, les amours, les amourettes, les courses, Spiculus, gladiateur devenu fameux depuis peu par ses prouesses aux arènes, et les derniers livres d’Atractus et des Sosius faisaient les frais de la conversation. En répandant le vin sur les dalles, il annonça que sa libation ne s’adressait qu’à la reine de Cypre, la plus ancienne et la plus grande de toutes les divinités, la seule qui fût éternelle et immuable.