Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/467

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Ses paroles, semblables au rayon de soleil qui éclaire successivement des objets divers, ou au zéphir qui balance les fleurs dans les jardins, effleuraient maints sujets. Enfin, il fit un signe et les cithares résonnèrent, tandis que des voix fraîches s’élevaient à l’unisson. Puis des danseurs de Cos, la patrie d’Eunice, firent miroiter leurs corps rosés resplendissant à travers des gazes transparentes. Ensuite, un devin d’Égypte prit en main un vase de cristal où s’ébattaient des dorades irradiées et fit ses prédictions aux convives.

Quand ceux-ci eurent assez de ces spectacles, Pétrone se souleva sur son coussin syriaque et dit négligemment :

— Amis ! pardonnez-moi de vous adresser une requête au cours de ce festin : je voudrais que chacun de vous daignât accepter la coupe qui servit à ses libations pour les dieux et pour ma propre félicité.

Les coupes de Pétrone étaient étincelantes d’or et de pierreries et de travail artistique, et comme ces sortes de présents n’avaient rien d’extraordinaire à Rome, la joie des convives fut grande. Les uns le remercièrent en le glorifiant ; d’autres firent remarquer que Jupiter lui-même était moins généreux pour les dieux de l’Olympe ; enfin, il s’en trouva qui hésitaient à accepter, tant la richesse du cadeau dépassait la limite admise.

Mais lui leva sa coupe de Myrrhène, coupe sans prix où se jouaient tous les rayons de l’arc-en-ciel, et dit :

— Voici la coupe de mon offrande à la reine de Cypre. Que désormais nulles lèvres ne l’effleurent, et que nulle main ne s’en serve en l’honneur d’une autre divinité.

Et la coupe alla se briser sur le dallage semé de safran lilas. Puis, voyant de la stupeur dans les regards, il ajouta :

— Amis, au lieu de vous étonner, réjouissez-vous. La vieillesse, l’impuissance sont les tristes compagnes de nos dernières années. Je vous donne un bon exemple et un bon conseil ; vous voyez qu’on peut ne point les attendre et s’en aller, avant qu’elles viennent, de plein gré, ainsi que je le fais.

— Que veux-tu faire ? — interrogèrent plusieurs voix inquiètes.

— Je veux me réjouir, boire du vin, écouter la musique, contempler ces formes divines qui reposent à mes côtés, et puis m’endormir, couronné de roses. Déjà, j’ai pris congé de César. Écoutez ce que je lui écris en guise d’adieu.

Il prit une lettre sous le coussin de pourpre, et lut :

« Je sais, ô César, que tu m’attends avec impatience et que, dans la fidélité de ton cœur, tu te languis de moi jour et nuit. Je sais que tu me couvrirais de tes faveurs, que tu m’offrirais d’être préfet de tes prétoriens, et que tu ordonnerais à Tigellin de devenir