Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/105

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ne se soutient que par artifice, à l’aide d’une forêt d’étais informes placés sans goût et sans dessein, si ce n’est celui d’étançonner les parties à mesure qu’elles menaçaient ruine ; il faut la reconstruire, ou bien vous résoudre à vivre au jour le jour dans la gêne et dans l’inquiétude d’être, enfin, écrasé sous ses débris. Tout se tient dans l’ordre social. Si vous en négligez une partie, ce ne sera pas impunément pour les autres. Si vous commencez par le désordre vous vous en apercevrez nécessairement à ses suites. Si l’on pouvait retirer de l’injustice et de l’absurdité les mêmes fruits que de la raison et de l’équité, où seraient donc les avantages de celles-ci ?

Vous vous écriez que si le tiers état s’assemble séparément pour former, non les trois états, dits généraux, mais l’Assemblée nationale, il ne sera pas plus compétent à voter pour le clergé et la noblesse, que ces deux ordres ne le sont à délibérer pour le peuple. D’abord, je vous prie de remarquer, ainsi que nous venons de le dire, que les représentants du tiers auront incontestablement la procuration des vingt-cinq ou vingt-six millions d’individus qui composent la nation, à l’exception d’environ deux cent mille nobles ou prêtres. C’est bien assez pour qu’ils se décernent le titre d’assemblée nationale. Ils délibéreront donc, sans aucune difficulté, pour la nation entière, à l’exception seulement de deux cent mille têtes. Dans cette supposition, le clergé pourrait continuer à tenir ses assemblées pour le don gratuit, et la noblesse adopterait un moyen quelconque d’offrir son subside au roi ; et pour que les arrangements particuliers à ces deux ordres ne pussent jamais devenir onéreux au tiers, celui-ci commencerait par déclarer formellement qu’il n’entend payer aucune imposition qui ne serait pas supportée par les deux autres ordres. Il ne voterait le subside qu’à cette condition ; et lors même que le tribut aurait été réglé, il ne serait point levé sur le peuple, si l’on apercevait que le clergé et la noblesse s’en exemptassent sous quelque prétexte que ce fût.

Cet arrangement serait, peut-être, malgré les apparences, aussi bon qu’un autre à ramener peu à peu la nation à l’unité sociale. Mais, du moins, il remédierait, dès à présent, au danger qui menace