Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/107

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j’oublie un moment, que les députés des deux premiers ordres ne sont point représentants de la nation, et je veux bien admettre encore que, siégeant dans la véritable Assemblée nationale, avec la seule influence, pourtant, qui leur appartient, ils opineraient sans relâche contre le vœu de la pluralité. Alors même, il est visible que leur avis serait perdu dans la minorité.

En voilà bien assez pour démontrer l’obligation où sera le tiers état de former à lui seul une assemblée nationale, et pour autoriser, devant la raison et l’équité, la prétention que pourrait avoir cet ordre de délibérer et de voter pour la nation entière sans aucune exception. Je sais que de tels principes ne seront pas du goût même des membres du tiers les plus habiles à défendre ses intérêts. Soit : pourvu que l’on convienne que je suis parti des vrais principes, et que je ne marche qu’à l’appui d’une bonne logique. Ajoutons que le tiers état, en se séparant des deux premiers ordres, ne peut pas être accusé de faire scission ; il faut laisser cette expression, ainsi que le sens qu’elle renferme, à ceux qui l’ont employée les premiers. En effet, la pluralité ne se sépare point du tout ; il y aurait contradiction dans les termes, car il faudrait pour cela qu’elle se séparât d’elle-même. Ce n’est qu’à la minorité qu’il appartient de ne vouloir point se soumettre au vœu du grand nombre, et par conséquent de faire scission. Cependant notre intention, en montrant au tiers toute l’étendue de ses ressources, ou plutôt de ses droits, n’est point de l’engager à en user en toute rigueur. J’ai annoncé, pour le tiers, deux moyens de se mettre en possession de la place qui lui est due dans l’ordre politique.

Si le premier, que je viens de présenter, paraît un peu trop brusqué ; si l’on juge qu’il faut laisser le temps au public de s’accoutumer à la liberté ; si l’on croit que des droits nationaux, quelque évidents qu’ils soient, ont encore besoin, dès qu’ils sont disputés, même par le plus petit nombre, d’une sorte de jugement légal qui les fixe, pour ainsi dire, et les consacre par une dernière sanction, je le veux bien ; appelons-en au tribunal de la nation, seul juge compétent dans tous les différends qui touchent à la constitution. Tel est le deuxième moyen ouvert au tiers. Ici, nous avons besoin de nous rappeler tout ce qui a été dit dans le chapitre précédent, tant sur la nécessité de constituer le