Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/108

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corps des représentants ordinaires, que sur celle de ne confier ce grand ouvrage qu’à une députation extraordinaire, ayant ad hoc un pouvoir spécial. On ne niera pas que la chambre du tiers aux prochains états généraux ne soit très compétente assurément à convoquer le royaume en représentation extraordinaire. C’est donc à lui, surtout, qu’il appartient de prévenir la généralité des citoyens sur la fausse constitution de la France. Il se plaindra hautement que les états généraux sont un corps mal organisé, incapable de remplir ses fonctions nationales, et il démontrera en même temps la nécessité de donner à une députation extraordinaire un pouvoir spécial pour régler, par des lois certaines, les formes constitutives de sa législature. Jusque-là, l’ordre du tiers suspendra, non pas ses travaux préparatoires, mais l’exercice de son pouvoir ; il ne statuera rien définitivement ; il attendra que la nation ait jugé le grand procès qui divise les trois ordres. Telle est, j’en conviens, la marche la plus franche, la plus généreuse, et par conséquent la plus convenable à la dignité du tiers état.

Le tiers peut donc se considérer sous deux rapports : sous le premier, il ne se regarde que comme un ordre : il veut bien, alors, ne pas secouer tout à fait les préjugés de l’ancienne barbarie ; il distingue deux autres ordres dans l’état, sans leur attribuer pourtant d’autre influence que celle qui peut se concilier avec la nature des choses, et il a pour eux tous les égards possibles, en consentant à douter de ses droits jusqu’à la décision du juge suprême. Sous le second rapport, il est la nation. En cette qualité, ses représentants forment toute l’Assemblée nationale ; ils en ont tous les pouvoirs. Puisqu’ils sont les seuls dépositaires de la volonté générale, ils n’ont pas besoin de consulter leurs commettants sur une dissension qui n’existe pas. Sans doute, ils sont toujours prêts à se soumettre aux lois qu’il plairait à la nation de leur donner ; mais s’ils ont à la provoquer eux-mêmes, ce ne peut être sur aucune des questions qui naissent de la pluralité des ordres dans l’assemblée nationale.

L’envoi d’une députation extraordinaire, ou du moins la concession