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Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/72

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Les villes se sont multipliées, se sont agrandies. Le commerce et les arts y ont créé, pour ainsi dire, une multitude de nouvelles classes dans lesquelles il est un grand nombre de familles aisées, remplies d’hommes bien élevés et attachés à la chose publique. Pourquoi ce double accroissement, si supérieur à ce qu’étaient autrefois les bonnes villes dans la balance de la nation, n’a-t-il pas engagé la même autorité à créer deux nouvelles chambres en faveur du tiers ? L’équité et la bonne politique se réunissaient pour le demander. On n’ose pas se montrer aussi déraisonnable à l’égard d’une autre sorte d’accroissement survenu à la France ; je veux parler des nouvelles provinces qui y ont été unies depuis les derniers états généraux. Personne n’ose dire que ces nouvelles provinces ne doivent pas avoir des représentants à elles, par de là ceux qui étaient aux états de 1614.

Pourquoi donc, lorsqu’il s’agit d’une augmentation qu’il est si facile de comparer à celle du territoire, puisque les fabriques et les arts offrent, comme le territoire, de nouvelles richesses, une nouvelle contribution et une nouvelle population, pourquoi, dis-je, refuse-t-on de lui donner des représentants par de là ceux qui étaient aux états de 1614 ? Mais, je presse de raisons des gens qui ne savent écouter que leur intérêt. On ne peut les toucher que par un autre genre de considérations. En voici une que je leur offre. Convient-il à la noblesse d’aujourd’hui de garder le langage et l’attitude qu’elle avait dans les siècles gothiques ? Et convient-il au tiers état de garder, à la fin du XVIIIe siècle, les mœurs tristes et lâches de l’ancienne servitude ? Si le tiers état sait se connaître et se respecter, certes, les autres le respecteront aussi.

Qu’on songe que l’ancien rapport entre les ordres est changé des deux côtés à la fois ; le tiers, qui avait été réduit à rien, a réacquis par son industrie une partie de ce que l’injure du plus fort lui avait ravi. Au lieu de redemander ses droits, il a consenti à les payer ; on ne les lui a pas restitués, on les lui a vendus. Mais enfin, d’une manière ou d’autre, il peut s’en mettre en possession. Il ne doit pas ignorer qu’il est aujourd’hui la réalité nationale dont il n’était autrefois que l’ombre ; que, pendant ce long changement, la noblesse a cessé d’être cette