Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/73

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monstrueuse réalité féodale qui pouvait opprimer impunément, qu’elle n’en est plus que l’ombre, et que vainement cette ombre cherche-t-elle encore à épouvanter une nation entière.

Troisième et dernière demande du tiers état.

Que les états généraux votent non par ordres, mais par têtes.

On peut envisager cette question de trois manières : dans l’esprit du tiers, suivant l’intérêt des privilégiés, et enfin d’après les bons principes. Il serait inutile, sous le premier point de vue, de rien ajouter à ce que nous avons déjà dit ; il est clair que pour le tiers cette demande est une suite nécessaire des deux autres. Les privilégiés craignent l’égalité d’influence dans le troisième ordre et ils la déclarent inconstitutionnelle ; cette conduite est d’autant plus frappante qu’ils ont été jusqu’à présent deux contre un, sans rien trouver d’inconstitutionnel à cette injuste supériorité. Ils sentent très intimement le besoin de conserver le veto sur tout ce qui pourrait être contraire à leur intérêt. Je ne répéterai point les raisonnements par lesquels vingt écrivains ont battu cette prétention et l’argument des anciennes formes. Je n’ai qu’une observation à faire.

Il y a sûrement des abus en France ; ces abus tournent au profit de quelqu’un : ce n’est guère au tiers qu’ils sont avantageux, mais c’est bien à lui surtout qu’ils sont nuisibles. Or je demande si, dans cet état des choses, il est possible de détruire aucun abus, tant qu’on laissera le veto à ceux qui en profitent. Toute justice serait sans force ; il faudrait tout attendre de la pure générosité des privilégiés. Serait-ce là l’idée qu’on se forme de l’ordre social ? Si nous voulons actuellement considérer le même sujet d’après les principes qui sont faits pour l’éclairer, c’est-à-dire d’après ceux qui forment la science sociale, indépendamment de tout intérêt particulier, nous verrons prendre à cette question une face nouvelle. On ne peut accueillir, soit la demande du tiers, soit la défense des privilégiés, sans renverser les notions les plus certaines.