Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/80

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inquiète plus que vous ? Non, cette vue est impossible à supposer. On pourrait plutôt soupçonner la noblesse de vouloir faire illusion au tiers, de vouloir, au prix d’une sorte d’anticipation d’équité, donner le change à ses pétitions actuelles et le distraire de la nécessité, pour lui, d’être quelque chose aux états généraux. Elle semble dire au tiers : « que demandez-vous ? Que nous payions comme vous ? Cela est juste, nous paierons. Laissez donc l’ancien train des choses, où vous n’étiez rien, où nous étions tout, et où il nous a été si facile de ne payer que ce que nous avons voulu. »

Le tiers peut répondre : « il est temps assurément que vous portiez, comme nous, le poids d’un tribut qui vous est bien plus utile qu’à nous. Vous prévoyiez très bien que cette monstrueuse iniquité ne pouvait pas durer davantage. Si nous sommes libres dans nos dons, il est clair que nous ne pouvons en faire de plus abondants que les vôtres. Oui, vous paierez, non par générosité, mais par justice ; non parce que vous le voulez bien, mais parce que vous le devez. Nous attendons, de votre part, un acte d’obéissance à la loi commune, plutôt que le témoignage d’une insultante pitié pour un ordre que vous avez si longtemps traité sans pitié. Mais c’est aux états généraux que cette affaire doit se discuter ; il s’agit aujourd’hui de les bien constituer. Si le tiers n’y est pas représenté, la nation y sera muette. Rien ne pourra s’y faire validement. Lors même que vous trouveriez le moyen d’établir partout le bon ordre sans notre concours, nous ne pouvons pas souffrir qu’on dispose de nous sans nous. Une longue et funeste expérience nous empêche même de croire à la solidité d’aucune bonne loi qui ne serait que le don du plus fort. »

Les privilégiés ne se lassent pas de dire que tout est égal entre les ordres, du moment qu’ils renoncent aux exemptions pécuniaires. Si tout est égal, que craignent-ils des demandes du tiers ? Imagine-t-on qu’il voulût se blesser lui-même en attaquant un intérêt commun ? Si tout est égal, pourquoi tous ces efforts pour l’empêcher de sortir de sa nullité politique ?

Mais je demande où est la puissance miraculeuse qui garantira à la France l’impossibilité d’aucun abus dans aucun genre, par cela seul que la noblesse paiera sa quote-part de l’impôt ? Que s’il subsiste encore des abus ou des désordres, indépendamment