Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/87

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Mais il y a sûrement de l’erreur à attribuer au seul pouvoir de la constitution tout ce qu’il y a de bien en Angleterre. Il y a évidemment telle loi qui vaut mieux que la constitution elle-même. Je veux parler du jugement par jurés, le véritable garant de la liberté individuelle en Angleterre, et dans tous les pays du monde où l’on aspirera à être libre. Cette méthode de rendre la justice est la seule qui mette à l’abri des abus du pouvoir judiciaire, si fréquents et si redoutables, partout où on n’est pas jugé par ses pairs. Avec elle, il ne s’agit plus pour être libre que de n’avoir plus rien à craindre des ordres illégaux qui pourraient émaner du pouvoir ministériel ; il faut pour cela, ou une bonne constitution, l’Angleterre ne l’a point, ou des circonstances telles que le chef du pouvoir exécutif ne puisse pas soutenir, à force ouverte, ses volontés arbitraires. On voit bien que la nation anglaise est la seule à qui il soit permis de n’avoir pas une armée de terre redoutable pour la nation. C’est donc la seule qui puisse être libre sans une bonne constitution. Cette pensée devrait suffire pour nous dégoûter de la manie d’imiter nos voisins et pour nous engager à consulter plutôt nos besoins et nos relations.

Elle n’est pas bonne cette constitution que nous ne cessons d’envier parce qu’elle est anglaise ; mais parce qu’à des défauts trop réels, elle joint des avantages précieux. Si vous tentez de la naturaliser parmi vous, il n’est pas douteux que vous n’en obteniez facilement les défauts, parce qu’ils seront utiles au seul pouvoir de qui vous auriez à craindre quelque obstacle. En aurez-vous les avantages ? Cette question est plus problématique, parce que vous rencontrerez alors un pouvoir intéressé à vous empêcher d’accomplir vos désirs. Enfin, pourquoi envions-nous la constitution anglaise ? Parce qu’apparemment elle se rapproche des bons principes de l’état social. Il est, pour juger les progrès en tout genre, un modèle du beau et du bon. On ne peut pas dire que ce modèle dans l’art social nous soit moins connu aujourd’hui qu’il ne l’était aux Anglais en 1688. Or, si nous avons le vrai type du bon, pourquoi nous en tenir à imiter une copie ? élevons-