Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/98

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si l’on en croit les privilégiés, elle renferme deux dispositions excellentes et inattaquables. La première, c’est la division par ordres de citoyens ; la seconde, c’est l’égalité d’influence, pour chaque ordre, dans la formation de la volonté nationale. Nous avons bien assez prouvé déjà qu’alors même que toutes ces choses formeraient notre constitution, la nation serait toujours maîtresse de les changer. Il reste à examiner plus particulièrement la nature de cette égalité d’influence, que l’on voudrait attribuer à chaque ordre sur la volonté nationale. Nous allons voir que cette idée est la plus absurde possible, et qu’il n’y a pas de nation qui puisse rien mettre de pareil dans sa constitution.

Une société politique ne peut être que l’ensemble des associés. Une nation ne peut pas décider qu’elle ne sera pas la nation, ou qu’elle ne le sera que d’une manière : car ce serait dire qu’elle ne l’est point de toute autre. De même une nation ne peut statuer que sa volonté commune cessera d’être sa volonté commune. Il est malheureux d’avoir à énoncer de ces propositions dont la simplicité paraîtrait niaise, si l’on ne songeait aux conséquences qu’on veut en tirer. Donc une nation n’a jamais pu statuer que les droits inhérents à la volonté commune, c’est-à-dire, à la pluralité, passeraient à la minorité. La volonté commune ne peut pas se détruire elle-même. Elle ne peut pas changer la nature des choses, et faire que l’avis de la minorité soit l’avis de la pluralité. On voit bien qu’un pareil statut, au lieu d’être un acte légal ou moral, serait un acte de démence. Si donc on prétend qu’il appartient à la constitution française que deux à trois cent mille individus fassent, sur un nombre de vingt-six millions de citoyens, les deux tiers de la volonté commune, que répondre, si ce n’est qu’on soutient que deux et deux font cinq ? Les volontés individuelles sont les seuls éléments de la volonté commune. On ne peut ni priver le plus grand nombre du droit d’y concourir, ni arrêter que dix volontés n’en vaudront qu’une, contre dix autres qui en vaudront trente. Ce sont là des contradictions dans les termes, de véritables absurdités. Si l’on abandonne, un seul instant, ce principe de première évidence, que la volonté commune est l’avis de la pluralité et non celui de la minorité, il est inutile de parler raison. Au même titre,