Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/242

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corps avili et une présence qui souille. Si j’agis, je me trouve en faute ; si je veux rendre service, je suis au contraire nuisible. C’est pourquoi je suis solitaire et accablé de tristesse : à qui m’expliquerais-je ? Un adage dit : « Ce que tu veux qu’on fasse qui le fera ? Les ordres que tu donnes, qui les écoutera ? » Or lorsque Tchong Tse-k’i mourut, Po Ta cessa jusqu’à la fin de sa vie de jouer du luthCCXXVII-1. Quelle en est la raison ? L’homme de valeur se donne de la peine pour celui qui sait l’apprécier ; la femme se fait belle pour celui qui l’aime. Comme ce qui constituait ma virilité m’a été enlevé, quand bien même mes talents atteindraient (la beauté de la perle du marquis de) Soei et (du jade de) Ho CCXXVII-2, et quand bien même ma conduite serait comparable à celle de {Hiu) Yeou et de (Po) I CCXXVII-3, en définitive je n’arriverais pas à être honorable ; je ne parviendrais qu’à exciter des risées et moi-même je me ferais honte.

J’aurais dû répondre plus tôt à votre lettre. Je me trouvais justement revenir de l’est à la suite de l’empereur et j’étais fort chargé d’occupations. Pour aller vous voir, les jours étaient trop courts ; j’étais très pressé et n’avais pas un instant de loisir pour exposer entièrement ma pensée. Maintenant, Chao-k’ing, vous avez été impliqué dans un crime insondable. Les semaines et les mois se sont écoulés et nous touchons au dernier mois de l’hiver. Pour moi, je dois encore me hâter de suivre l’empereur à Yong. Je crains que soudain il n’arrive ce que je ne puis taireCCXXVII-4. Ainsi je ne pourrais pas en définitive exposer mon indignation et ma tristesse pour en instruire notre entourage et alors l’âme de celui qui sera parti pour le long voyage en concevrait secrètement un ressentiment qui n’aurait pas de fin. Je vous demande la permission d’expliquer en quelques mots ma pensée grossière. J’ai manqué à mon devoir en ne vous répondant pas ; veuillez ne pas m’en faire un reproche.

J’ai entendu dire : Celui qui s’exerce au bien a une provision de sagesse ; celui qui aime donner a un principe de bonté ; celui qui


CCXXVII-1. Tchong Tse-k’i et Po Ya étaient tous deux du pays de Tch’ou, Po Ya jouait admirablement du luth. Tchong Tse-k’i goûtait fort sa musique et devinait, en l’entendant, ses pensées. Quand il mourut, Po Ya, ayant perdu celui qui seul savait l’apprécier, cessa de jouer.

CCXXVII-2. Cf. Mayers, Manual, no 551.

CCXXVII-3. Cf. Mayers, Manual, nos 204 et 543.

CCXXVII-4. C’est-à-dire l’exécution de Jen Ngan.