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affections les plus profondes. Se-ma Tan considère Mé-tse avant tout comme l’apôtre qui prêche le retour à la simplicité. Sans doute, dit-il, Mé-ts fut un grand penseur quand il montra que c’est son caractère qui donne à l’homme sa dignité et non le luxe dont il s’entoure. Mais peut-on exiger dans une société que toutes les classes mènent la même vie frugale et sans apparat ? Dans les enterrements en particulier, ne doit-on pas donner aux cérémonies funéraires une pompe proportionnée au rang du mort ? L’application stricte des règles de Mé-tse conduirait à une sorte de socialisme égalitaire où toutes les personnes auraient une valeur identique ; elle supprimerait cette hiérarchie naturelle sans laquelle la famille ni l’état ne peuvent se constituer ni subsister. C’est pourquoi la modération rigoureuse que prêche cette école ne saurait être observée dans la pratique.

L’école des dénominations n’est pas, elle non plus, à l’abri de tout reproche. Elle semble se composer de pédants qui ne voient rien au delà de la lettre. Le mot est en lui-même une chose morte ; il n’a de valeur qu’en tant que représentant une réalité vivante qu’il symbolise sans l’exprimer entièrement. Un homme qui ne sera juste que parce qu’il se conformera à la conception qu’il se fait en prononçant le mot « justice » n’atteindra jamais à la parfaite équité de celui dont tous les actes seront inspirés par une volonté juste. Ce n’est pas le mot qui nous fait pénétrer l’infinie complexité du sentiment ; c’est le sentiment qui, en se développant en nous, élargit et accroît sans cesse nos notions. Ainsi cette école invite l’homme aux pensées étroites et ne va à rien moins qu’à tuer en lui la nature. D’autre part cependant il est certain que celui qui agit bien réalise par là-même parfaitement les idées exprimées par les mots. Si donc l’exactitude de la dénomination n’est pas un principe suffisant d’action, elle est du moins un critérium par lequel on peut juger si telle conduite est bonne ou ne l’est pas : en constatant que nos actions ne répondent pas à l’idée que nous nous faisons de la justice, nous reconnaîtrons que nous ne sommes pas justes.